Dix ans après le succès de son précédent roman, Le Petit copain, Donna Tartt revient dans les librairies et suscite l’enthousiasme avec son nouveau récit, Le Chardonneret.
Le tableau noir
Roman initiatique salué par la critique ainsi que par le prestigieux prix Pulitzer, Le Chardonneret conte l’histoire de Théo, jeune adolescent présent lors d’un attentat à la bombe au Metropolitan Art Museum de New-York au cours duquel sa mère trouvera la mort. Dans la panique et l’état de choc, parmi les décombres et les cadavres, le jeune homme subtilise l’un des tableaux exposés, « Le Chardonneret » de Carel Fabritius, qu’il gardera avec lui, étrange secret de plus en plus pesant accompagnant une vie d’orphelin chaotique, peuplée de rencontres improbables, de drogue et de désespoir. Destin anarchique d’un homme qui semble ne jamais vivre ce qui lui était dû.
Car c’est autour de la figure de Théo que le roman s’articule. malgré tous les événements parfois extraordinaires qu’il raconte, malgré tous les rebondissements qu’il propose, malgré l’imposante galerie de personnages hauts en couleur qu’il déroule, Le Chardonneret ne cesse jamais d’être le roman de Théo, dont on suit l’évolution et les pérégrinations, depuis New-York jusqu’à Amsterdam en passant par Las Vegas. Personnalité complexe, emplie de paradoxes, à la fois malhonnête et sincère, désireuse de beauté et recherchant la déchéance, hanté par la mort de sa mère autant que par la sienne, qu’il semble souhaiter sans oser se l’avouer.
En s’inscrivant ainsi dans une grande tradition des romans initiatiques « à l’américaine », Donna Tartt a marqué fortement les esprits qui ne manquent pas d’exprimer leur admiration, d’autant plus motivés par le rythme de parution de l’auteure qui propose un nouveau roman tous les dix ans environ, apparaissant comme une Kubrick de sa discipline, aux œuvres aussi rares que précieuses. On parle de Dickens, on évoque également Dostoïevski, on redouble de compliments et d’éloges sur Le Chardonneret. Et pourtant…
Une auteure en quête de personnages
Il ne saurait être question de nier les qualités de cet ouvrage, et l’on ne boudera pas son plaisir à la lecture de toute la première partie de ce roman qui se pose en objet fantasque, à la fois fouillis et détaillé, qui nous promène à Las Vegas dans les faubourgs d’une amère déliquescence de l’âme de deux jeunes garçons en mal d’autre chose. Mais ce vide qu’ils ressentent, le lecteur le ressentira peut-être également. Et cherchera en vain, dans cette foule compacte d’idées et de caractères, de quoi remplir la profondeur que ce roman s’attribue à chaque nouveau chapitre.
Aussi nombreux soient-ils, les personnages qui émaillent cette œuvre sont également fugaces, parfois des seconds rôles auxquels on cherche à donner une écriture capitale, pour mieux renforcer le jeu des allégories auquel Donna Tartt ne cesse de nous convier sans vraiment convaincre. La narration elle-même semble ne pas toujours savoir quoi faire de tous ces personnages, qui surgissent abruptement au moment le moins attendu et disparaissent de la même manière, au « hasard » d’accidents qui finissent par prendre l’aspect de vilaines astuces, sinon de grosses ficelles.
L’illusion cosmique
Quant au style de l’auteure, dont on ne niera certainement ni la qualité ni la poésie, il risque de fatiguer l’oeil du lecteur à travers ses digressions incessantes et quelquefois oiseuses, ces longs atermoiements sentimentaux d’un Théo que l’on plaint sans le comprendre vraiment, et ces descriptions impressionnistes qui irritent à grand renfort de « deux points » ou de phrases dénuées de verbes : détails infimes pour simuler une image d’ensemble, baromètre de Flaubert remis au goût du jour, jeu des odeurs et des couleurs locales confinant au cliché. Panoplie classique d’un roman qui cherche à sembler vrai en faisant faux.
Tout comme Théo joue à faire passer des meubles qu’il a façonné à l’aide de pièces éparses pour de précieuses créations ancestrales, Donna Tartt donne l’impression de construire son « grand » roman en usant d’artifices que l’on découvre aisément en grattant un peu, en regardant dans les petits coins d’ombre de ce récit à la fois gigantesque et, somme toute, peu concluant.
Une impression à prendre toutefois avec des pincettes, tant nombre de lecteurs se sont de toute évidence laissés conquérir par ce copieux roman et ont pris grand plaisir à le lire. Le Chardonneret a trouvé son public et su ravir le cœur des critiques les plus prestigieux (du Monde à Télérama) sans difficulté. On ne peut que s’en réjouir pour son auteure et pour tout ceux qui auront aimé son roman. Les autres retourneront voir du côté de Jack London, d’Hubert Selby Jr. ou de Cormac McCarthy, sans rancune ni rancoeur.
Le Chardonneret
de Donna Tartt
Traduit de l’anglais (américain) par Édith Soonckindt
Éditions Plon, Feux Croisés
800 pages, 23 €