Le dessinateur Guillaume Sorel revisite, à travers un trait empli d’élégance, Maupassant et son Horla, l’un des plus beaux textes de la littérature d’épouvante du dix-neuvième siècle.
Je et un autre
Le long de la Seine coulent quelques bateaux sereins, et notamment ce trois-mâts battant pavillon brésilien que notre « héros » salue depuis la berge. À compter de ce jour, son humeur changera, une tristesse, une mélancolie pesante, s’emparera de lui, et ses nuits deviendront des mondes peuplés de cauchemars étouffants. Quelle folie s’est emparée de cet homme ? Ou quel être le hante ?
Texte court mais mythique, Le Horla a fasciné des générations de lecteurs et demeure encore aujourd’hui une référence en matière de littérature fantastique, à la fois fascinant par l’angoisse qu’il génère et par les degrés de lecture qu’il propose, pouvant être lu comme un joyau d’épouvante autant que comme une réflexion sur la folie. Une folie qui pèse dans l’oeuvre de Maupassant, que l’auteur redoutait et qui allait l’emporter comme elle emporta son frère avant lui.
Il y a du Lovecraft avant l’heure dans ce texte, une description de l’indicible, de l’invisible, d’un autre monde ou d’une autre entité qui réside en même temps que nous, au même endroit que nous, sans qu’il nous soit possible de le savoir, et qui interfère quelquefois dans notre réalité. Le Horla, celui en dehors, est-il une prédiction du Outsider de Lovecraft, cet être « d’ailleurs » ? C’est toute la modernité, toute la complexité de la réflexion de Maupassant qui éclate dans cette nouvelle et met en valeur le génie unique de cet auteur fulgurant, dont la malédiction sera de toujours demeurer dans l’ombre imposante de son ami Flaubert.
Nuits et lumières
De fait, on pouvait craindre qu’une adaptation en bande dessinée, exercice toujours périlleux, ne trahisse son auteur. Au contraire, le talent de Guillaume Sorel illustre à merveille ses mots et son univers, puisant dans la nouvelle originelle le matériau pour mener son propre récit, se permettant des coupes ou des ajouts sans jamais se départir d’une fidélité sans faille à l’esprit de Maupassant. Texte austère dans sa forme, rédigé sous forme de journal, Le Horla devient ici une œuvre plus mouvante, auquel un personnage inédit de chat indolent mais revêche assure une continuité narrative.
Jouant sur les silences autant que sur des dialogues ciselés, Sorel propose une lente progression dans l’enfer, la peur et la folie, décrite à travers des dessins somptueux qui, cases après cases, immergent le lecteur dans des ambiances sans pareilles. Qu’il représente la quiétude d’une salle d’étude, le Mont Saint-Michel et ses vents tortueux, le Paris mondain ou les apparitions d’un être immatériel, chaque croquis nous parle, chaque trait force l’admiration.
Un album que l’on lit d’une traite, captivé, avant d’y revenir à plusieurs reprises pour prendre le temps de savourer chaque case, de s’attarder et flâner sur quelques-unes de ces pages, de regarder en détail la figure du Horla, la folie de l’homme qui le hante, s’il ne se hante pas lui-même. Loin d’une création opportuniste ou d’un pillage en règle de l’imaginaire d’une autre, Guillaume Sorel signe avec Le Horla une réussite, une merveille qui, cerise sur le gâteau, donnera envie à son lecteur de se replonger dans Maupassant.
Et peut-être, par souci de se rassurer, de laisser sur sa table de nuit deux carafes emplies d’eau et de lait avant de s’endormir, pour le seul plaisir de les retrouver au petit matin, pleines comme il se doit !
Le Horla
de Guillaume Sorel
D’après l’oeuvre de Guy de Maupassant
Éditions Rue de Sèvres
66 pages, 15 €