Nouvelle formule choc dans certains médias : l’État français vivrait à crédit depuis lundi 09 novembre. Le mois et demi restant d’ici la fin de l’année serait donc une continuelle saignée des finances publiques…
Depuis 1986, l’ONG Global footprint network annonce chaque année le « jour du dépassement », la date à partir de laquelle la consommation humaine de ressources naturelles dépasse la capacité de renouvellement planétaire. C’est certes un raccourci, mais il a le mérite d’être limpide : l’humanité consomme plus que ce que son environnement peut supporter.
Cette clarté du message fait des émules ; ainsi, à en croire l’Institut économique Molinari (IÉM), l’État français vivrait depuis lundi 09 novembre à crédit…
Un avis très orienté
Malgré un nom qui sonne très officiel, l’IÉM est tout ce qu’il y a de plus privé : il s’agit d’un laboratoire d’idées qui ne cherche guère à cacher son adhésion au credo ultra-libéral – sa fondatrice et directrice, Cécile Philippe, affirmant par exemple dans l’introduction à son dernier ouvrage que « la finance est, depuis des décennies, un secteur hautement régulé » ; nous hésitons entre le rire et la consternation.
De manière générale, l’IÉM et Cécile Philippe professent une pensée économique pour le moins conservatrice (n’hésitant pas à s’appuyer, pour analyser la crise de 2008, sur Friedrich Hayek, prix Nobel d’économie… il y a quarante ans) et fustigent toute intervention de l’État dans l’économie.
Une simplification manipulatrice
L’IÉM explique ainsi sa méthodologie pour déterminer la date à partir de laquelle les États européens vivraient à crédit : « les recettes sont divisées par les dépenses et multipliées par 365 ». Cette apparente efficacité cache une simplification à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, pour au moins deux raisons.
Premièrement, si nous employons dans le langage courant le singulier pour parler de l’État, il n’y a pas ici un mais une multitude de budgets. Ils sont gérés séparément et ne communiquent pas entre eux : le budget de l’armée de terre et celui de la MSA (assurance-retraite des exploitants agricoles) sont distincts, l’un pourrait être en déficit tandis que l’autre serait excédentaire, par exemple.
Deuxièmement, l’endettement de l’État n’est pas une chose simple ni linéaire : la République Française n’a pas « une » dette mais plusieurs auprès de différents débiteurs, qui ne doivent pas tous être remboursés en même temps : l’État échelonne tout au long de l’année le remboursement de ses emprunts. Il n’y a donc pas de date fatidique où des huissiers vont saisir le mobilier de l’Élysée…
Une formule choc est parfaite pour faire passer un message ; elle l’est beaucoup moins pour faire passer une réflexion – c’est précisément pourquoi les provocateurs y recourent. Personne ne nie les difficultés budgétaires de la France, le « jour du crédit » ne nous apprend donc strictement rien ; mais en présentant ainsi les choses, l’IÉM dresse un portrait alarmiste et charge lourdement l’État.
Gustave de Molinari était un économiste belge du XIXe siècle, fondateur de la pensée anarcho-capitaliste, laquelle réclame la disparition complète de l’État ; si, comme cela semble probable, c’est en son honneur que l’IÉM a été nommé, voilà qui ne laisse guère planer de doute sur ses motivations à propager un concept réducteur, simpliste et populiste comme le « jour du crédit ».