Après deux expositions, l’une consacrée aux dessins italiens et l’autre aux dessins français, c’est aujourd’hui le Nord de l’Europe qui est à l’honneur au Musée de Grenoble jusqu’au 9 juin, à travers les oeuvres de dessinateurs allemands, flamands et hollandais.
Ici l’ombre
« Cela correspond à un travail de recherche beaucoup plus large, qui a commencé voilà plus de sept ans, qui visait à étudier toute notre collection de dessins anciens. », nous explique Valérie Lagier, conservateur en chef du patrimoine. Un travail confié à des spécialistes dans différents domaines afin de permettre, à terme, une mise en ligne de ces dessins, dont beaucoup présentent un intérêt historique, et esthétique, majeur. L’idée de cette exposition comme des précédentes ? Proposer au public « les plus belles feuilles » en possession du Musée, et mettre en avant le talent d’artistes souvent méconnus, et parfois même amateurs. « Sachant, précise madame Lagier, que la plus grande partie de l’exposition est consacrée au dessin hollandais, et même au dessin hollandais du dix-septième siècle. »
Alors que les dessinateurs italiens, par exemple, usaient volontiers de la sanguine ou de la pierre noire, les dessins nordiques présentés ici par le Musée sont, dans leur grand majorité, réalisés à la plume et à l’encre, à la « pointe » et à « l’ombre ». Mais même si la couleur est rarement au rendez-vous, on aurait tort de craindre une série de dessins austères ou sinistres : à travers les paysages, les scènes de genre ou les évocations bibliques qu’elle propose, chaque salle est l’occasion de faire connaissance avec des univers, des imaginations, des talents quelquefois singuliers, des beautés que l’on ne soupçonnerait pas nécessairement sur de si petits formats.
C’est aussi un travail d’historien de l’art que le Musée présente à travers cette exposition et le catalogue qui l’accompagne : nombre de dessins ne sont pas signés, voire pour certains attribués à tort à tel ou tel artiste par son vendeur, qui mentionnait sur le dessin un nom trompeur. De nombreuses recherches seront nécessaires pour retrouver l’identité des artistes, pour identifier leur nationalité, pour tenter d’établir une biographie forcément fragmentaire de leurs vies ou leurs parcours artistiques.
L’art à la pointe
Des recherches qui rappellent le foisonnement d’artistes en Europe durant ces siècles, pour la plupart totalement oubliés sauf des spécialistes, et mettent en avant la dimension naturellement marchande, sinon mercantile, de la création artistique : les dessins sont soit des esquisses préparatoires pour montrer à l’acheteur d’un tableau ce qu’il représentera, soit des oeuvres destinées à être vendues telles quelles, pour agrémenter un intérieur. Les artistes n’ont pas souvent le loisir d’exprimer une créativité singulière : ils se plient à des courants, sinon des modes, et se spécialisent volontiers dans telle ou telle discipline. Une réalité du marché de l’art, peu différente aujourd’hui, qui n’enlève naturellement rien à la qualité des oeuvres présentées ou au talent de leurs auteurs.
Ainsi, les scènes de genre tendent à représenter la vie dissolue du bas-peuple, s’adressant à des clients aisés qui peuvent ainsi, tout en se drapant dans de hautes considérations morales, s’encanailler à moindre prix. Animaux et paysages sont également à la mode auprès des acheteurs, le paysage étant l’occasion pour les artistes hollandais d’exalter leur nationalisme en célébrant les étendues infinies de leur pays sans reliefs. Ce qui n’empêchera pas nombre d’entre-eux d’aller ensuite vivre, et mourir, en Italie pour échapper à une concurrence féroce.
Scènes de vie champêtre ou épisodes bibliques, paysages aux multiples ruines, évocation d’une nature presque sauvage ou habiles esquisses de portraits, ce que tous ces dessins nous montrent est la grande maîtrise technique et la qualité du regard des artistes, leur capacité pour certains à marquer des effets de couleurs ou de profondeurs avec des outils très rudimentaires, ou à adopter un angle, un regard qui embrasse toute une réalité en quelques traits, parfois nerveux ou incisifs.
Une visite qui se conclut sur le « clou » de l’exposition, qui a fait grand bruit et lui a assuré un certain retentissement : L’Autoportrait au chevalet de Rembrandt, un tableau de 1660 prêté par le Musée du Louvres. Si l’opportunité d’admirer cette oeuvre à Grenoble est exceptionnelle, espérons qu’elle ne fera pas oublier toutes les créations exposées dans les salles qui la précèdent, elles mêmes chargées d’histoire et de beauté.
Enfin, pour les plus jeunes et les plus courageux, le Musée propose un atelier de création où les visiteurs pourront s’exercer aux techniques de dessin d’époque, une manière de comprendre comment travaillaient ces artistes, et pourront s’essayer au concours « À vos panoramas ! » accompagnés de nombreux prix à remporter !
La Pointe et l’ombre
Musée de Grenoble
du 15 mars au 9 juin 2014
Ouvert de 10 heures à 18 heures 30
Fermeture le mardi