Certains créateurs ont écrasé leur époque, et Munch fait partie de ceux-là. Le dessinateur Steffen Kverneland revient, dans un ouvrage remarquable, sur l’homme qui a légué son Cri à l’humanité.
Les tourbillons de l’angoisse
« Incroyable, qu’une chose aussi innocente que la peinture puisse créer de tel remous ! » s’amuse Munch face au tollé que soulève ses tableaux dans le microcosme artistique européen. On le traite de tous les noms, on le soupçonne de tous les vices.
Mais Munch est un génie, et comme tous les génies dont les œuvres vont chercher des émotions au plus profond de chacun, il sera accueilli avec autant d’enthousiasme que de dégoût. « Plus vous aurez d’ennemis, plus vous aurez d’amis », lui souffle Ibsen. Et Munch avait beaucoup d’amis.
Parmi eux ? La maladie, qui l’accompagne depuis son plus jeune âge et lui promettait une fin prématurée qui n’arrivera que tardivement. La folie, la sienne et celle des artistes qu’il fréquente, où la passion autant que l’alcool – ou d’autres substances – enfantent des créations insensées, des conversations endiablées, des comportements délurés, des égarements des sens autant que des nerfs. La mort, aussi. Celle des autres, et le deuil qui l’accompagne, et qui emplit tellement de ses oeuvres.
Steffen Kverneland ne signe pas une biographie dessinée de Munch. Il ne relate pas la vie de l’artiste en partant d’un point A à un point B. Il décrit un parcours sinueux, aussi troublé et méandreux que les nuages rouges qui parcourent les ciels de certains de ses tableaux.
La peinture est un cri
Et le dessinateur se met lui-même en scène, en caricature comme en photographie, sur les traces de Munch, suivant pas à pas les éléments qui l’ont amené à concevoir telle ou telle toile. Un travail de fourmi pour un résultat gigantesque.
À l’instar de son sujet, Munch est un livre qui explose les codes et les conventions de son genre. Au fil des pages, le lecteur aura l’occasion de parcourir plusieurs univers graphiques, Kverneland mettant un point d’honneur à changer de style et d’approche en fonction de l’orientation et du déroulement de son récit.
À un trait empli d’ombres et de rondeurs succède un dessin tout en angles et couleurs vives, avant que survienne un tracé plus réaliste et – pourquoi pas ? – presque un jeu d’ombres chinoises. Un exercice de style périlleux qui aurait pu sembler absurde ou vain si son auteur n’y instillait une formidable dose de dérision qui lui confère, au final, un ton joyeux. Et quelque peu nihiliste.
Les amoureux de Munch, les amoureux d’art en général, ne doivent pas passer à côté de cette somme, aussi instructive que destructrice, chaotique et flamboyante. Sept ans de travail et près de 300 pages qui restent en mémoire, qui marquent le lecteur autant que les œuvres frénétiques et fondatrices du peintre norvégien.
Munch
de Steffen Kverneland
Nouveau Monde Graphic
288 pages, 29 €