Le non-recours définit les différentes raisons qui amènent des personnes à ne pas demander les aides sociales auxquelles elles ont droit. Nous avons interrogé Philippe Warin, spécialiste de la question.
Fin 2016 est publié l’ouvrage au titre explicite “le non-recours aux politiques sociales”, son auteur Philippe Warin, est membre de l’équipe de l’Observatoire Des Non-Recours (Odenore), laboratoire implanté à Grenoble. Il est aussi docteur en science politique et directeur de recherche au CNRS.
Depuis quand s’intéresse-t-on à la notion de non-recours ?
La question du non-recours date des années 70. C’est une période de reconstruction, d’arrivée de population nouvelle. La Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF) s’interroge sur les questions d’inégalités sociales. Les systèmes de prestations sont plus simples à l’époque et les services suffisamment dotés de personnels. Malgré cela, on s’aperçoit des difficultés au guichet de certaines populations à comprendre, à accéder avec facilité à leurs droits. À partir de ce moment, la CNAF lance des travaux de recherche. Antoinette Catrice-Lorey, qui a écrit la postface de mon ouvrage, introduit explicitement en 1973 dans un rapport de recherche, suivi d’un article, le terme de non-recours.
Quels sont les types d’aides les plus touchés par le non-recours ?
Il est difficile d’établir un classement des prestations qui seraient les plus affectées par le non-recours. Dans l’ensemble les prestations sont fortement exposées au non-recours au moment de leur création, puis le taux baisse progressivement. Néanmoins, on ne peut pas arriver à un taux zéro. Les coups de sondes de l’Odenore montrent qu’on n’a pas moins de 10% de non-recours, comme s’il y avait un niveau incompressible. Pour le RSA, la première évaluation en 2011 a noté des taux de non-recours très élevés, qui s’expliquent par la mise en route des prestations sociales. On n’a pas d’élément de comparaison depuis, sauf au niveau local où on observe que le phénomène régresse. Le non-recours à la complémentaire santé, baisse aussi. Malgré que ce soit quelque chose de connu des professionnels de santé, on est encore avec des taux moyens de non-recours national très très élevés de 60%. Sur des prestations extra-légales, gérées par des collectivités territoriales, le taux de non-recours est très élevé car il s’agit de dispositifs moins connus que les prestations légales dont on parle plus généralement dans la presse et ailleurs.
Le non-recours permet-il de faire des économies à l’État ?
Les parcours non-optimaux de soins engendrent des coûts directs pour la société.
Le CCAS paye le coût du non-recours, il n’y a pas de compensation.
Lutter contre le non-recours, est-ce favoriser la création de lien social ?
Oui, oui, et mille fois oui, et sur différents plans. Parler de la question du non-recours de façon instruite, ses tenants, ses aboutissants, permet de travailler au mieux le lien social. Il faut arrêter avec cette stigmatisation et dire que les personnes éligibles ne sont pas des fraudeurs potentiels. Parler et travailler cette question du non-recours avec les médias, et pas seulement le vôtre, permettrait d’expliquer à une opinion qui se crispe que le système de protection n’est pas “fraudogène”. Il n’est pas ouvert à des abus sans fin.
On s’aperçoit que la mise en oeuvre de dispositifs fait travailler entre eux les différents services d’organismes sociaux. Le non-recours est un sujet commun partagé et pose la question de nos procédures. Essayons de nous appuyer sur les populations elles-mêmes, à travers les associations, les collectifs, afin de comprendre au mieux les attentes et les demandes, de façon à être le plus efficace et à ne pas perdre en route des personnes, ni à dépenser sans avoir les effets que l’on souhaite.
Pourquoi le recours aux aides sociales peut-il être stigmatisant aujourd’hui ?
“Est-ce qu’on ne crée pas une stigmatisation avec le numérique ?”
“Le numérique a aussi ses vertus” (cas de la Belgique).
Quels sont vos prochains travaux ?
Il y a d’autres projets qui sont en cours. En terme d’ouvrage à venir, il s’agit des actions sur le non-recours. Quand on voit des sites internet qui viennent dissuader fortement des femmes à utiliser leur droit à l’IVG, il y a là une question majeure. Il y a des acteurs qui viennent casser ces libertés individuelles. En agissant sur des propositions de loi pour interdire ces sites, des députés agissent contre le non-recours, produit par ces groupes. Pour des raisons morales, religieuses, ils viennent défaire ce que notre collectivité a su construire comme possibilité donnée aux hommes et aux femmes. De la même façon, quand on voit le travail des acteurs associatifs pour aller contre les idées préconçues, on est dans l’action contre le non-recours. Au niveau de la formation et de l’éducation, la question du non-recours commence à être introduite. Un prochain ouvrage doit remarquer de la façon la plus large possible et cohérente que le sujet du non-recours se pose à différents niveaux et doit être combattu sur différents plans.
Si le thème du non-recours vous intéresse particulièrement, un échange-débat aura lieu à la Maison Des Habitants (MDH) le jeudi 9 février entre midi et deux heures.
« Le non-recours aux politiques sociales »
Philippe Warin
Collection : Libres Cours Politique
Presses universitaires de Grenoble (PUG)
Prix : 22€