Dans le cadre des élections municipales de Grenoble, Le Bon Plan a sollicité chacun des neuf candidats afin de leur poser une série de mêmes questions consacrées aux problématiques sociales.
Le Bon Plan a rencontré Éric Piolle, tête de liste « Une ville pour tous », candidat EELV allié au Parti de Gauche.
Pensez-vous que la représentativité des précaires au sein des institutions municipales est nécessaire et suffisante ? Que peut-on faire, autrement, pour donner plus de place aux précaires au sein des actions citoyennes ?
Le « faire avec » est clairement au cœur de notre projet. Cela passe par deux axes : le premier, c’est que les élus aillent régulièrement rencontrer les précaires. Deuxième axe : faire rentrer cette parole, forcément forte, dans les espaces institutionnels. Le monde du précariat va peu dans les instances représentatives : il y a un besoin d’aller chercher cette parole-là, que les précaires fassent partie de ceux qui construisent des politiques à destination de ceux qui vivent en précarité, même si cela reste une parole individuelle car il y assez peu de forme organisée du précariat. Il y a beaucoup d’initiatives, mais cela reste une difficulté, ce n’est pas un monde qui a l’habitude de s’organiser.
Quelles initiatives sont à mettre en place ou à pérenniser en faveur des précaires dans la municipalité? (accès aux crèches, aide au soutien scolaire, etc.)
Sur l’accès aux crèches, la municipalité a fait un travail plutôt intéressant en changeant un peu les règles pour répondre à un besoin de sociabilisation des précaires et amener une mixité sociale dans les structures. C’est à continuer. Pour le reste, nous portons plutôt une logique de droit commun, et de ne traiter des champs spécifiques qu’à la marge. Cela nous semble important parce que les personnes en situation de précarité sont des habitants et des citoyens comme les autres et que nous voulons sortir d’une vision en silo ou en entonnoir.
Nous proposons la tarification progressive sur l’eau, avec les premiers mètres cubes gratuits. Une tarification beaucoup plus progressive aussi sur les transports, avec la gratuité pour les 18-25 ans qui constituent une grande part des précaires et pour qui les transports sont le deuxième poste de dépenses. Il y a une tarification sociale aujourd’hui pour les précaires, mais qui a deux écueils : le premier, c’est que cela s’arrête très vite. Un quotient familial de 600 et l’on est déjà au maximum, alors que l’on est loin d’être sorti du précariat. Le deuxième, c’est la paperasse. Il faut en permanence aller se fouetter et montrer patte blanche. Il y a une bureaucratie stigmatisante qui est malsaine.
C’est l’un de nos objectifs : faciliter fortement l’accès aux droits, et la simplification administrative, pour arrêter cette stigmatisation. C’est l’administration qui doit porter la complexité. Il y a toujours une complexité administrative, c’est normal, mais ce n’est pas à l’usager de faire le lien entre tous les maillons de la chaîne. Les élus pour moi doivent casser les silos, construire ces logiques de parcours. C’est fondamental.
Il ne faut pas oublier aussi qu’il y a un monde du précariat, mais il y a aussi toute une frange de la population qui a peur de tomber dans le précariat. Nous sommes tous fragiles : un divorce, un licenciement, un accident de santé, tout peut aller très vite. L’intérêt de cette approche d’un parcours de droit commun, c’est qu’elle permet de ne pas se dire : « pour l’instant je n’ai droit à rien, mais quand est-ce que je vais basculer ? » Il y a une espèce de trappe à précarité qu’il faut essayer de casser !
Que faire pour pérenniser ou augmenter les capacités d’accueil des plus démunis ? Celui-ci doit-il uniquement passer par des associations, et comment les soutenir et s’assurer de leur bon fonctionnement ?
Nous proposons de doubler les centres d’accueil d’hébergement d’urgence, mais au-delà de ça je reviens sur la logique du parcours : il est important de dire que, dans la loi, il y a l’inconditionnalité et la continuité. Il faut revenir à ces fondements-là, pour éviter ce que l’on fait aujourd’hui, à savoir que l’on fait bouger les gens, qu’on les sort de la merde trois jours et qu’on les remet dans la rue juste après. Nous avons la volonté de déployer de l’innovation sociale dans ce domaine, comme d’autres villes l’ont fait. Je peux citer par exemple le système du bail glissant. Grenoble a besoin de repenser l’innovation sociale, et elle ne le fera qu’en revenant aux fondamentaux, même si l’on ne pourra pas régler tout d’un coup. Il y a aussi un aspect de politique générale. Le gouvenement depuis deux ans n’est pas revenu sur la circulaire Sarkozy qui concentre l’accueil des demandeurs d’asile sur Lyon et Grenoble et qui a fait exploser toutes les structures d’hébergement. Deux ans plus tard, on continue à créer des points de tension et de friction artificiels. C’est un combat que je porterai : mobiliser les élus locaux pour revenir à la charge. Je ne pense pas que le gouvernement puisse tenir cette position, ou sinon il faudra qu’il affiche publiquement son cynisme et que oui, ça l’intéresse de continuer cette politique de Sarkozy !
Comment résoudre les problèmes d’accès au logement social (en particulier le temps d’attente) et celui-ci est-il la seule piste pour lutter contre le mal-logement ? Faut-il entrevoir un partenariat public-privé ?
Ce partenariat a été fait à Grenoble de façon outrancière ces dernières années. On travaille au niveau local avec des gens comme BNP Paribas, qui sont les pires de ceux que l’on dénonce au niveau national… Je ne pense pas que ça soit l’avenir. Je pense au contraire que la promotion de logements pour les classes moyennes passe par des outils de promotion publique.
Il y a aussi un enjeu majeur autour de la rénovation thermique des logements. C’est un champ qui a été très peu développé On a construit plus de sept mille logements neufs, mais cela n’a fait qu’augmenter le nombre de logements vacants !
Et puis il y a des initiatives différentes que je souhaite développer, comme ce qui est fait par l’association Soleni, qui travaille sur comment réduire la consommation de fluides avec des résultats incroyables : entre vingt et trente pour cent de baisse de charges, ce qui rend du pouvoir d’achat aux personnes habitantes et qui, d’un point de vue des financeurs publics, a un intérêt direct aussi, puisqu’un grand nombre des problématiques d’expulsion est lié au poids des charges. Nous avons un projet autour de cela, pour promouvoir de façon majeure cette problématique de réduction de consommation de fluides.
Au-delà de la seule question du logement social, le logement sur Grenoble est trop cher, les loyers élevés empêchent les travailleurs les plus modestes à accéder à des logements décents. Que peut faire la mairie ?
C’est plutôt : que peut-elle ne pas faire pour encourager cela ? Les études montrent que, plus on construit de logements neufs, plus les prix montent. Les sept mille logements qui ont été construits ont contribué directement à la spéculation immobilière à Grenoble, qui a été accentuée par cette débauche de constructions.
Et puis se pose aussi une question d’équipements publics : on a construit des immeubles sans construire d’écoles, sans construire de gymnases, sans construire de piscines, sans rien construire du tout, et on manque cruellement d’espaces publics, en plus d’avoir bouffé les espaces verts !
De plus, certains quartiers ont été abandonnés, dans lesquels on trouve aujourd’hui des logements qui ne sont pas chers. Un logement à la Villeneuve, c’est moins de mille euros le mètre-carré pour un triplex avec une vue magnifique sur les montagnes et les pieds dans un parc ! Certes, l’image de la Villeneuve est extrêmement détérioré mais il s’y passe plein de choses du point de vue associatif, il y a un cadre de vie épatant, c’est accessible… On déplace les populations à l’intérieur de la ville, ce qui crée une tension financière forte sur les quartiers en vogue mais qui empêche les gens de la Villeneuve de vendre leurs logements. Et ceux qui en ont besoin ne peuvent plus bouger…
Si vous étiez élu, quelles seraient vos priorités en matière sociale ? Pouvez-vous établir un « top 3 » de vos priorités dans ce domaine ?
Pour moi, le top un, c’est de faire avec. Avec les acteurs sociaux, qui est un monde qui souffre depuis des années, qui vit de plein fouet l’explosion de la précarité et la réduction ou l’absence de moyens et de vision. Faire avec les précaires eux-mêmes puisque, comme dit la phrase de Mandela : « ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous ». Il y a plein de petits dispositifs, de petites réformes, qui peuvent permettre de changer de la vie, de changer la façon dont on voit les choses, de changer la reconnaissance de chacun dans la société, de refaire société. Je pense aussi que la tarification sociale, et progressive, est un enjeu majeur. Et enfin, garder le cap de ce que nous voulons faire dans la société pour dans vingt ans. Ce qui est important, c’est de créer ensemble une vision collective, pour être sûr que chaque pas que l’on fait aujourd’hui va dans la bonne direction !