Dans le cadre des élections municipales de Grenoble, Le Bon Plan a sollicité chacun des neuf candidats afin de leur poser une série de mêmes questions consacrées aux problématiques sociales.
Nous avons rencontré Philippe de Longevialle, tête de liste « Imagine Grenoble », candidat centriste et actuel troisième adjoint à la mairie de Grenoble.
Pensez-vous que la représentativité des précaires au sein des institutions municipales est nécessaire et suffisante ? Que peut-on faire, autrement, pour donner plus de place aux précaires au sein des actions citoyennes ?
Je pense que la représentation des précaires est totalement insuffisante, on en retrouve d’ailleurs très peu dans les conseils municipaux, même pas du tout. De même, on les retrouve assez peu dans l’ensemble des outils de représentation, que cela soit les comités consultatifs, les unions de quartier, ou tous les organismes ou les structures plus ou moins officiels de concertation. Pour une raison assez simple : ce sont souvent des gens qui n’ont pas forcément l’information sur ces processus et comment s’y inscrire, et qui sont souvent en difficulté sociale, qui n’ont pas souvent confiance en eux. Il y a donc un vrai effort à faire de représentation des personnes les plus en précarité, les plus éloignées de l’insertion sociale et professionnelle, dans les instances représentatives et dans les instances de concertation. On travaille sur toutes ces questions de précarité : précarité énergétique, du logement, de l’emploi, mais on travaille souvent de manière assez formelle, assez administrative, et il y a une parole qui n’est pas toujours relayée, sur des difficultés très pratiques et très concrètes. On a une vision plutôt macro-économique et les personnes précaires sont souvent confrontées à des difficultés beaucoup plus matérielles et beaucoup plus quotidiennes.
Quelles initiatives sont à mettre en place ou à pérenniser en faveur des précaires dans la municipalité? (accès aux crèches, aide au soutien scolaire, etc.)
On sait que tout se joue dans les premiers âges de la vie, et les enfants des familles en grande précarité sont souvent très pénalisées. Non pas qu’ils n’aient pas droit à un certain nombre de services, comme n’importe quel enfant ou citoyen de cette ville, mais ils n’en ont pas la possibilité pratique. Lors de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires, dans les quartiers les plus « favorisés », les taux d’inscription aux activités périscolaires étaient très élevés. Dans les quartiers sud, les quartiers les plus en difficulté, les taux étaient parfois autour de vingt-cinq pour cent d’enfants inscrits dans ces activités. Les parents n’ont pas jugé utiles d’inscrire leurs enfants, ou ont eu peur du coût que cela pouvait représenter, alors que ce sont ces familles là qui en ont le plus besoin. En mettant des moyens supplémentaires pour l’insertion, pour l’éducation ou les activités périscolaires, on recrée une inégalité : ceux qui n’en ont pas forcément besoin vont en profiter, ceux qui en ont besoin ne vont pas en profiter. Il faut vraiment veiller à ce que ces activités, ce soutien scolaire, profite d’abord aux enfants qui en ont le plus besoin.
Une autre inégalité flagrante est celle relative à l’accès à la santé. La ville dispose d’outils, avec les centres de santé, de possibilité d’intervention dans ce domaine. Je pense qu’il faut renforcer cela car aujourd’hui, l’accès à la santé est une vraie inégalité suivant le milieu familial dans lequel on se situe.
Enfin, troisième aspect, tout ce qui concerne les activités culturelles, sportives ou de loisir. Là aussi, quand on est en difficulté ou en grande précarité, ce n’est pas la priorité. Ce qui veut dire que l’on n’a quasiment aucun accès. À travers la politique de la ville, à travers les moyens qui sont aujourd’hui mis en œuvre par la ville de Grenoble mais aussi par la Métro, il faut renfoncer cet accès des plus précaires à la culture, afin qu’ils aient aussi le sentiment que, malgré les difficultés qu’ils peuvent vivre, ils peuvent mener une vie à peu près normale, que l’accès vers la culture, vers le monde, vers les loisirs n’est pas réservé qu’aux catégories les plus aisées.
Que faire pour pérenniser ou augmenter les capacités d’accueil des plus démunis ? Celui-ci doit-il uniquement passer par des associations, et comment les soutenir et s’assurer de leur bon fonctionnement ?
Pour les personnes en grande précarité, qui ne sont pas en situation d’avoir un parcours logement complet, qui ne sont pas en capacité de payer un loyer, il existe un certain nombre de structures qui sont sans doute insuffisantes. Il y a encore des lacunes dans le dispositif, même s’il s’est fortement amélioré au cours des dernières années. Des foyers ont été construits, l’offre a augmenté, mais la demande augmente probablement plus vite que l’offre. Il faut améliorer cela, à l’échelle de l’agglomération car la ville de Grenoble ne peut pas à elle seule régler tous les problèmes. Mais le but n’est pas, de toute façon, de multiplier l’hébergement d’urgence, mais de vraiment passer dans un parcours résidentiel et d’intégrer les gens. Multiplier les logements précaires sans avoir la capacité de faire sortir, à terme, les gens de cette précarité, c’est un vrai danger. On risque de recréer des formes de bidonvilles que l’on a connu à certaines époques, et que l’on voit refleurir d’ailleurs dans certaines campagnes un peu partout, ce qui est quand même un signe inquiétant.
Comment résoudre les problèmes d’accès au logement social (en particulier le temps d’attente) et celui-ci est-il la seule piste pour lutter contre le mal-logement ? Faut-il entrevoir un partenariat public-privé ?
Sur Grenoble, on développe une offre de logement social relativement importante, avec des logements très sociaux pour les plus faibles revenus, et je pense qu’il faut continuer cet effort en construisant au moins trente pour cent de logements sociaux, dont une partie importante en logement pour les plus précaires.
S’agissant du public et du privé, les modes de financement sont très différents et le partenariat est compliqué du point de vue administratif, même s’il existe à travers des opérations mixtes, en incluant du logement social dans des constructions privées, ce qui permet au moins la mixité des populations. Concernant le logement social lui-même, il est financé à quasiment cent pour cent par le public, et l’on rentre dans des processus, dans des critères, dans des modes de financement qui sont souvent compliqués, et parfois insuffisants par rapport au coût de sortie de ces logements, puisque plus la part des fonds propres des bailleurs sociaux est importante, plus les loyers vont être chers, et aujourd’hui le logement social neuf est relativement cher par rapport au logement ancien qui, lui, permet encore d’accueillir des familles en difficulté, mais souvent dans des conditions de logement qui ne sont pas terribles. Donc, la ville fait un gros effort en matière de construction de logement social neuf, en essayant de faire un équilibre entres les différentes catégories de logement social, permettant aux familles les plus précaires de pouvoir y accéder avec des loyers acceptables.
L’autre problème aujourd’hui est moins le loyer que les charges, notamment les charges d’eau, de chauffage, d’électricité ou de gaz. Le phénomène de la précarité énergétique se développe : on a ajouté à la précarité de la vie de tous les jours une autre forme de précarité qui est l’accès à l’énergie, à l’eau, aux ressources de base. Le coût de ces ressources augmente plus vite que l’inflation, plus vite que les salaires. Il y a un vrai travail à faire, dans le cadre d’une tarification solidaire, qui permette que les premiers mètres-cubes ou les premiers kilowatts-heures, pour les besoins vitaux d’une famille, soient à des tarifs sociaux, gérés et financés par le public, de manière à permettre au moins un accès aux ressources de base. Au moins que le minimum vital soit assuré à l’ensemble des familles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est un vrai sujet d’inquiétude parce que le coût de l’énergie va continuer à augmenter dans les années qui viennent, et le problème n’est donc pas derrière nous mais devant nous.
Au-delà de la seule question du logement social, le logement sur Grenoble est trop cher, les loyers élevés empêchent les travailleurs les plus modestes à accéder à des logements décents. Que peut faire la mairie ?
On a déjà beaucoup fait, et on va continuer à le faire, en tout cas je continuerai à le faire si je suis élu. Il faut faire baisser le prix du logement neuf. Le logement ancien va baisser, mais dans le neuf on a connu depuis les années 2000 une augmentation. Depuis quelques années il commence à baisser grâce aux politiques qui ont été menées. Une charte a été signée avec la Fédération des promoteurs-constructeurs pour sortir des opérations de logement à des prix inférieurs à 3000 euros le mètre carré, et même pour certaines opérations à 2300 ou 2200 mètres carrés, qui sont des prix très bas. Ces deux dernières années, le prix moyen à Grenoble a baissé de 200 euros le mètre-carré, justement grâce à cette politique de travail avec les opérateurs privés, sur le foncier, les coûts de construction et la question du stationnement, qui constitue un coût important.
Si vous étiez élu, quelles seraient vos priorités en matière sociale ? Pouvez-vous établir un « top 3 » de vos priorités dans ce domaine ?
La priorité numéro un, c’est l’égalité devant le service public. Le service public existe, il y a des moyens, des offres de service, mais on a une certaine inégalité dans son accès. Je parlais tout à l’heure de l’éducation, du périscolaire, de l’accès aux soins ou à la culture… Dans tous ces domaines là, nous ne sommes pas égaux devant l’accès aux droits. Il faut garantir cet accès équilibré et égal pour tous.
Deuxième point, la question de l’insertion professionnelle des jeunes. Ce qui me frappe dans les rencontres que j’ai avec les jeunes sur le terrain, c’est la question des stages, de l’emploi. Comment ces jeunes peuvent s’insérer dans la vie active et donc avoir un parcours de vie normal ? Cette ville ne peut pas se désintéresser de sa jeunesse, ou l’on voit ce que cela peut produire en terme de déshérence et de délinquance. On a un tissu économique important à Grenoble, il n’est pas normal que l’on laisse encore tant de jeunes sur le bord du chemin !
Enfin, le troisième point, c’est celui de l’isolement des personnes âgées. On a aujourd’hui trois, quatre, voire cinq générations qui cohabitent, et pour autant les personnes âgées sont de plus en plus isolées. On voit monter toute une génération de personnes du troisième âge ou du quatrième âge qui vivent seules. La question de la dépendance, la question du maintien à domicile, la question des services à domicile et la question du lien social de ces personnes sont des questions absolument fondamentales et c’est un problème qui est devant nous pour de très nombreuses années avec le vieillissement de la population. Il est donc urgent de prendre la mesure de cette difficulté sociale.