Un Japonais à Paris. Un Japonais au Louvre, enivré des artistes qu’il admire, et qui vivra à la faveur d’un délire fiévreux la rencontre avec les « fantômes » qui peuplent et gardent le palais.
Le syndrome de Taniguchi
Est-ce lui, Jirô Taniguchi, ce dessinateur japonais pris de fièvres dans sa chambre d’hôtel parisienne ? Ou l’auteur transpose-t-il son double à l’intérieur de ce récit entièrement dédié à la passion de l’art ? Peu importe dans le fond, tant le rêve et la réalité, à l’image du passé et du présent, se confondent naturellement dans ce récit pareil à nul autre.
On connaît le syndrome de Stendhal, cette émotion face à une œuvre d’art qui peut mener jusqu’au malaise, voire aux hallucinations. Le syndrome de Taniguchi est d’un autre ordre : désireux de fuir la foule qui s’amasse dans les salles du Louvre, il se réfugie dans les recoins les moins visitées du musée et, sur le point de défaillir d’épuisement, rejoindra une autre réalité, enfouie à l’intérieur de lui-même.
L’autre monde qui s’ouvre à lui n’est cependant pas si différent du nôtre, si ce n’est cette étrange femme qui le guidera parmi les couloirs du palais désormais déserts. « Nous sommes les gardiens du Louvre », explique-t-elle, « nous nous trouvons dans les limbes oniriques de votre imagination. » Mais comment s’appelle-t-elle, cette si belle femme, venue d’un passé indéfini ? Victoire. La Victoire de Samothrace.
La tentation des tournesols
Au gré des chapitres, notre héros emboîtera son pas sur celui de Corot, et croisera son compatriote Asai Chû, peintre francophile décédé en 1907. Visitant Auvers-sur-Oise, il fera la connaissance de Vincent Van Gogh et sera invité à le suivre dans sa chambre où le peintre encore inconnu lui montrera sa soixantaine de toiles, dont personne ne veut encore. « Vous avez l’esprit malade, vous aussi ? » s’amuse-t-il en allumant sa pipe…
Puis nous sera offert le récit tellement méconnu de l’exode des œuvres du Louvre face à l’arrivée de nazis, la nécessité de mettre en sécurité ce « patrimoine mondial de l’humanité » avant l’heure, et comment le transport de la Joconde faillit coûter la vie de son responsable, ou comment Le Radeau de la Méduse faillit périr électrocuté. L’intelligence et le courage de Jacques Jaujard, qui organisa ce sauvetage contre les ordres du régime vichyste, et de tous ceux qui y ont participé est mis en avant dans ce chapitre poignant et palpitant.
L’art sensible
Mais Les Gardiens du Louvre ne se présente pas comme un livre d’histoire, comme une fresque figé prenant prétexte de quelques rêves pour délivrer un cours d’histoire de l’art. Le narrateur articule avec sensibilité son récit autour de son amour, de sa passion dévorante d’esthète fasciné. Il se raconte aussi, jusque dans les brisures qui ont marqué sa vie, dans le drame qui a laissé en lui une plaie ouverte.
Jirô Taniguchi nous dit quelque chose des hommes avant de parler des œuvres, s’adressant à chacun et pas seulement au passionné de peinture ou de sculpture. Le dessin est magnifique, le trait est sobre, les couleurs impressionnent et les mots sonnent juste. Les Gardiens du Louvre est la bande dessinée qui saura guérir ceux qui éprouvent une aversion profonde pour la lecture de droite à gauche. Les autres n’auront pas d’excuses.
Les Gardiens du Louvre
Jirô Taniguchi
Éditions Futuropolis
136 pages, 20 €