L’opéra pour tous ?

L’opéra est-il un lieu sacré ? C’est en tout cas, sans aucun doute, celui que l’on considère comme le moins accessible, en particulier pour les personnes modestes ou peu mélomanes. De fait, un cliché perdure dans ce pays : l’opéra serait un lieu réservé à une « élite ».

Évidemment, une place d’opéra coûte cher. Selon les salles, les places situées dans les premiers rangs peuvent coûter plus de 100 euros, même si le prix d’un billet oscille en moyenne entre 30 et 50 euros, une somme conséquente mais pas nécessairement exagérée : il faut bien comprendre qu’un spectacle d’opéra génère des frais importants, ne serait-ce que par le nombre de personnes qu’il mobilise (musiciens, chanteurs, metteur en scène, techniciens…)

Pour autant, ces tarifs élevés privent les demandeurs d’emploi ou titulaires des minima sociaux de la possibilité de se rendre à l’opéra. Ce qui renforce le cliché : les pauvres ne vont pas à l’opéra, donc l’opéra n’est pas fait pour les pauvres. Reste à savoir ce que les salles font pour lutter contre ce cliché.

La question de l’argent n’est évidemment pas la seule à prendre en compte : souvent, les personnes ne se sentent pas autorisées à entrer dans un lieu culturel aussi imposant qu’une salle d’opéra. Cependant, l’aspect financier demeure un obstacle majeur, qui peut contribuer à ce sentiment d’illégitimité. Voici donc un petit tour d’horizon des politiques tarifaires.

Le Barbier de sébile

On s’étonnera d’en voir certaines ne faire aucun effort, et cela d’autant plus qu’elles représentent des grandes villes dotées d’une forte culture populaire. Ainsi, dans l’éditorial de son programme, l’opéra de Lille évoque son ambition après travaux : « offrir au plus grand nombre la chance de découvrir de grandes œuvres lyriques ». Le plus grand nombre en question risque toutefois d’être restreint en matière de diversité sociale : cette salle ne propose strictement aucun tarif préférentiel.

On aurait pu attendre beaucoup plus d’efforts de la part de Marseille, cité populaire s’il en est. Ce n’est pas vraiment le cas. Si les moins de 16 ans peuvent bénéficier de billets à moitié prix, les bénéficiaires des minima sociaux devront se contenter d’une réduction de 15 %. A noter que le site Internet de la salle persiste d’ailleurs à parler de « Rmistes ». Faut-il en conclure que Martin Hirsch ne va pas à l’opéra ?

Cette dénomination anachronique n’a rien d’innocente : elle est également révélatrice d’une ignorance et d’un désintérêt évidents vis-à-vis des minima sociaux ou des demandeurs d’emploi. Ces salles comme quelques autres (Paris, Nice…) ne cherchent clairement pas à s’adresser également aux personnes en situation de précarité financière. Si attirer un public jeune apparaît bien souvent comme une priorité, permettre l’accès à la culture des plus démunis ne rentre pas dans leur logique.

Mais il n’en demeure pas moins des « bons élèves » qu’il convient également de signaler.

La Flûte en chantier

L’opéra de Bordeaux offre ainsi une réduction de 50 % sur le prix des billets pour tous les spectacles sans exception. La salle propose également une « formule Paradis » permettant d’assister à trois spectacles pour la somme modique de 24 euros. Les mélomanes les moins fortunés trouveront donc leur bonheur, au sein d’une très jolie programmation où le baroque est à l’honneur. Dans une logique de réduction tarifaire, on peut citer également le cas de Strasbourg, dont la grille tarifaire est cependant plus restrictives et moins claire. Des efforts strictement financiers, ce qui n’a rien de négligeable mais ne constitue dans le fond qu’une première étape, aussi nécessaire soit-elle.

Les opéras de Rennes ainsi que de Reims apparaissent quant à eux très en pointe en matière d’action sociale. Ainsi, les Rennais les plus en difficulté ont droit à des billets à moitié prix, et peuvent également bénéficier du dispositif « Sortir ! » (équivalent de notre « Pass’ culture ») dont la salle de Rennes est partenaire. De plus, celle-ci organise un « parcours découverte » proposant des visites, des rencontres, des ateliers de pratique, bref autant d’occasions de « permettre aux personnes qui en sont le plus éloignées de découvrir l’opéra », pour reprendre les termes du programme.

Outre une réduction de 50 % pour les plus démunis, l’opéra de Reims fait également preuve d’une attention toute particulière vis-à-vis des publics en difficulté. D’une part à travers son partenariat avec la branche locale de l’association Cultures du cœur, et d’autre part à travers des actions de sensibilisation remarquables, au sein des Maisons de quartier et jusque dans l’univers carcéral.

Deux exemples qui montrent que certaines salles s’inscrivent dans une volonté de dépasser la seule question financière pour se pencher sur d’autres problèmes que posent la question de l’accès à la culture : l’aspect « élitiste » de l’art lyrique qu’il est nécessaire de désamorcer, la nécessité de permettre aux personnes de prendre possession d’un lieu qui peut les impressionner, voire les rebuter, bref donner du sens à leur présence dans une salle de spectacle aussi solennelle que l’opéra peut l’être.

Rigolethon

Et qu’en est-il des lieux plus proches de nous ? Si Grenoble n’a pas d’opéra, Lyon en a un, qui propose un « pass’opéra solidarité » : celui-ci coûte 5 euros et permet ensuite d’accéder aux spectacles en tarif réduit (-50 %). Un dispositif similaire à celui mis en place par la MC2 (qui, rappelons-le, programme également des spectacles d’art lyrique) : une « carte MC2 » à deux euros, qui permet d’obtenir des réductions pouvant aller jusqu’à – 80 %.

Rappelons que la MC2 est également partenaire de Cultures du Coeur Isère, rejoignant cette volonté de rendre la culture accessible aux plus modestes, non seulement via une politique tarifaire, mais également à travers des actions de sensibilisation ou d’accompagnement vers la culture.

Un paysage lyrique national contrasté, on peut le voir. Mais plutôt que de s’arrêter sur les « bonnets d’âne » qui montrent clairement un désintérêt pour les personnes en difficulté sociale, notons surtout les initiatives courageuses des salles pour qui la volonté de permettre au plus grand nombre d’accéder à la culture se traduit dans les faits. Pas seulement dans les mots.

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