Lucien Jay est un personnage solaire, on le comprend dès le premier instant. Son charisme tient d’abord à la puissance de sa présence, à sa nature spontanée et généreuse, à ce regard lumineux et chaleureux qui met à l’aise, d’emblée.
On découvre que c’est aussi un fabuleux conteur qui vous fait voyager dans le temps et l’espace sur le ton de la causerie presque bonhomme. Son visage et ses mains s’animent, sa voix se fait velours parfois, le ton joyeux souvent, à l’évocation de ces souvenirs qu’il revisite, pour vous. Vous perdez de vue le cadre de l’interview, vous êtes happé par les propos de votre interlocuteur qui habite pleinement ses paroles.
On connaissait de réputation l’homme engagé, on s’attendait à un propos centré sur ses années de militantisme, les mouvements de chômeurs, « Gallo-tout-ça», ponctué ci et là de coups de gueule fracassants. On découvre un homme passionné, jouisseur, curieux de tout. Lui-même se définit comme un autodidacte qui s’enrichit tous les jours au contact des autres. On découvre surtout la générosité du personnage. C’est de lui dont il est censé parler et pourtant, jamais son propos n’est narcissique. Il délaisse très vite le « Je» pour le « On » qu’il préfère ou le « avec les copains » qu’il affectionne plus encore. Ou alors, au gré des nombreuses digressions qui parsèment son récit foisonnant, il fait entrer en scène les personnages qui l’ont durablement marqué et qu’il enveloppe d’une grande douceur.
Impossible de résumer cette longue aventure pleine de rebondissements qu’aura été la vie de Lucien Jay sans risquer de la dénaturer, de lui ôter toute sa saveur. Peut-être alors signaler que rien au départ ne prédisposait l’homme à cet engagement militant qui le caractérise aujourd’hui.
Issu d’un milieu d’agriculteurs, plutôt modeste et conservateur, c’est par strates successives qu’il construit sa personnalité, parfois de manière surprenante. Cet esprit rebelle et indépendant choisit ainsi de commencer sa vie d’adulte en s’engageant dans la Marine, poussé par l’envie de fuir le destin d’ouvrier qui l’attend et surtout celle de voir du pays. Entré patriote dans l’Armée, il en sortira trois ans plus tard pacifiste et ouvert aux autres cultures. Les prémices d’une conscience politique naissante sont liées à cette époque, à ce séjour en Algérie qu’il prolonge aussi longtemps qu’il le peut, malgré des conditions de vie spartiates, au contact de ce peuple algérien qui accède à l’indépendance. De retour en métropole, ces valeurs de liberté, égalité, fraternité, il va désormais les vivre et les défendre pleinement, non pas seul, mais avec tous les compagnons de route qui sont nombreux à se lancer dans le combat collectif pour plus de justice. Il y a tant d’effervescence dans ces années de conquête sociale où Lucien découvre le syndicalisme, se nourrit de lectures – Jaurès bien sûr – de débats, participe activement au développement de l’éducation populaire et, plus tard, à celui des mouvements de chômeurs.
Aujourd’hui à la retraite, il a retrouvé ses racines au pied du massif de Belledonne et cultive son jardin. Mais il reste un indigné aux côtés de ceux qui ont pris la relève.