Lucien Jay, un parcours de valeurs

Il n’y a pas qu’en Inde où l’on peut espérer plusieurs vies  : l’exemple de Lucien Jay, bientôt 75 printemps, suffit à nous en convaincre. Son itinéraire professionnel est constitué de virages, d’embûches, de nouveaux départs… Bref, un foisonnement qui pourrait bien remplir plusieurs vies et qui a solidement construit la sienne.

Racines

Né à Murianette d’un père facteur agriculteur et d’une mère au foyer, Lucien a gardé ce goût du terroir et ce respect de ce que certains appellent avec condescendance la France d’en bas  : «  J’ai un aspect franchouillard, mais cela ne suffit visiblement pas pour devenir un électeur du Front National  ! ». Attaché à ses racines, il revendique la connaissance d’autres lieux, d’autres personnes, d’autres cultures avec un regard bleu bienveillant qui n’a pas pâli au cours des années. Raconter sa vie, ce serait raconter l’histoire de combats sociaux, politiques et syndicaux sur plus d’une cinquantaine d’années. Il fut tour à tour secrétaire comptable au Sahara, rédacteur à la Sécurité Sociale, animateur chez Léo Lagrange, directeur de structures, chômeur, écrivain public et éternel homme de gauche, fidèle à ses idéaux, avec un engagement jamais affaibli.

Éloge du dialogue

Membre de la SFIO, puis du Parti socialiste, avant de rejoindre le Front de gauche, il semble avoir fait le chemin inverse du cursus politique habituel où l’on se dirige progressivement vers un assagissement plus soft quitte à se renier un peu. Pas de ça chez Lucien  ! Ce qui ne veut pas dire pour autant que le militant se soit radicalisé et se soit enfermé dans des idéaux et des certitudes. C’est bien tout le contraire  : un don naturel pour discuter, débattre, accepter la contradiction et chercher à comprendre, au-delà de convaincre. C’est probablement cette aptitude à échanger, à être capable de confronter ses idées sans prendre une critique pour une agression ou une remise en question. Tandis que certains sont habités par une idéologie qui sclérose leur façon de penser, Lucien Jay est animé par ses idées, toujours disponible pour agir et participer à des mouvements.

Le goût des autres

C’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans l’aventure Gallo, cette association de chômeurs particulièrement dynamique dans les années 2000, et dont il fut un des principaux animateurs avec Christian Devaux aujourd’hui disparu  : un mouvement d’importance, agitateur qui voulait donner une autre image du chômage et redonner une dignité à une population très rarement écoutée  ; «  Tu t’aperçois qu’on laisse tomber des gens qui ont des capacités. Quel gaspillage  ! » De toutes ces expériences, il garde un souvenir des rencontres faites  : « avec les copains  »  est un terme qui revient fréquemment durant l’entretien pour raconter ses combats, les actions mises en place. Jamais ses projets ne sont individuels ou dissociés des autres, il est le défenseur de la solution collective où chacun trouve sa place et prend conscience de ses capacités.

A soixante-dix ans passés, Lucien Jay reste un indigné, ne perdant rien de sa volonté d’agir ou de dénoncer. Utilisateur de twitter depuis quelques années, il rédige régulièrement des messages qui sont la preuve que son engagement est intact  : «  Avec twitter la contrainte du nombre de signes par message oblige à synthétiser sa pensée. C’est un très bon exercice.  » Alors, il écrit, rappelle, cite Pierre Bourdieu, Jean Jaurès, Stéphane Hessel, et tant d’autres piochant davantage chez les humanistes que chez les idéologues. Tour à tour revendicatif, impertinent, insolent, mais exigeant. Des remarques pertinentes suivies par un nombre de followers grandissant (plus de 165 abonnés).

De ces multiples vies, il a conservé des traces indélébiles qui n’ont pas subi d’érosion destructrice, mais au contraire une douce patine qui restitue toute leur essence à des valeurs que certains voudraient oubliées. Il parle de partages, de projets, d’amis, rendant à ceux partis un hommage discret qui témoigne du bonheur de les avoir côtoyés et du respect. Lucien Jay ne lâche toujours rien  : on le voit encore dans les manifestations, fier d’accompagner des luttes comme s’il avait toujours vingt ans. L’enthousiasme est intact, jamais forcé, habilement cultivé. Et partageur.