Ancien caricaturiste à Charlie Hebdo, Luz change de registre et s’approprie l’ouvrage Ô vous, frères humains d’Albert Cohen. Croquis d’un rescapé tourmenté contre la « haine de l’autre ».
Dessinateur caustique de Charlie Hebdo, Renald Luzier, plus connu sous le nom de Luz, a été profondément meurtri par la fusillade meurtrière du 7 janvier 2015 au siège du journal. En retard à la conférence de rédaction, il n’a pu que donner l’alerte.
Tout peut-il être pardonné ?
En 2011, dans l’hebdomadaire rebaptisé pour l’occasion « Charia Hebdo », il avait croqué un Mahomet hilare en lui faisant déclarer « 100 coups de fouets si vous n’êtes pas morts de rire». Il n’imaginait pas l’incendie des locaux et encore moins de telles représailles.
Aussi, quand il participa au « numéro des survivants » du 14 janvier « Tout est pardonné », imprimé à plus de 7 millions d’exemplaires, il choisit de nouveau le prophète pour illustrer la couverture. Cette fois, celui-ci, la larme à l’œil tient à la main la pancarte « je suis Charlie » suscitant de nouvelles violences. Néanmoins, Charlie Hebdo a continué de paraître.
Insidieusement, le rythme de travail du caricaturiste de presse a commencé a lui peser. En septembre 2015, il quitte le journal et contacte les Éditions Futuropolis. Il publie alors la bande dessinée « Catharsis » dans laquelle il met en scène sa crise émotionnelle pour exprimer sa rage, sa douleur, ses deuils. Ses sentiments se bousculent, les styles s’entrechoquent, le ton se fait chaotique : le rire côtoie les larmes, de la laideur s’affiche avec la beauté, la colère cohabite avec l’amour. Cet ouvrage thérapeutique l’apaise.
La capacité de nuire des personnes toxiques
Il cherche de nouvelles pistes de travail et se souvient alors d’un ouvrage marquant, lu à 16 ans, « Ô vous, frères humains » d’Albert Cohen. Cet ouvrage l’avait marqué car le Front National venait d’entrer au Parlement et le débat sur le négationnisme s’imposait dans les conversations.
Comme l’auteur, Luz est convaincu qu’« on ne peut pas s’aimer tous mais qu’on peut au moins essayer de ne pas se haïr ». Dès le début de la bande dessinée, le dessinateur donne le ton et cite Albert Cohen : « un enfant juif rencontre la haine le jour de ses 10 ans. J’ai été cet enfant ».
Sans jugement de valeur, ni prises de position, chacun à sa manière conte le récit poignant d’un enfant déchiré, injustement rejeté à cause de ses origines, qui peu à peu perd pied. Luz dessine le désarroi, la colère et expose la souffrance. Contrairement à « Catharsis » que la couleur égaye et que le rouge entache de présages fatals, les croquis en noir et blanc révèlent l’envahissement des sombres pensées de l’enfant. Elles pénètrent son esprit, accaparent son espace de pensée jusqu’à le diluer lui-même.
En choisissant le petit Cohen, Luz parle de l’innocence et de la naïveté. Il fournit ainsi au lecteur, en l’immergeant dans le chaos des incompréhensions de l’enfance, la possibilité de s’interroger sur la capacité à réagir face aux violences et aux provocations. Comme Albert Cohen, il souhaite que « si ce livre pouvait changer un seul haïsseur… je ne l’aurais pas écrit en vain »
« Ô vous, frères humains »
Bande dessinée de Luz
Éditions Futuropolis
d’après l’ouvrage paru en 1977
« Ô vous, frères humains » d’Albert Cohen