Signe des temps : autrefois, les chanteurs se demandaient ce qu’ils feraient s’ils étaient présidents. Aujourd’hui, On demande aux ministres ce qu’ils feraient s’ils étaient chômeurs.
L’échange ne dure qu’une minute mais il n’en faut pas plus à Emmanuel Macron pour glisser dans son discours le genre de maladresses que les médias ne manquent pas ensuite de mettre en exergue. Si le jeune homme semble briguer le titre de nouveau meilleur économiste de France, il lui faudra encore bien des efforts avant de prétendre à celui de meilleur communicant.
Le combat concentrique
Jean-Jacques Bourdin le sait bien, lui qui déploie tout son talent de journaliste à faire dire à ses invités les pires horreurs, quitte à leur souffler quelquefois mot pour mot. « Si vous étiez chômeur, dans quel état d’esprit seriez-vous ce matin ? » demande-t-il au ministre de l’Économie au lendemain du fameux 49-3. Parce que sur BFM, on ne badine pas avec la démagogie.
Après quelques secondes d’hésitation, Emmanuel Macron convient que « c’est toujours très difficile de se mettre dans ce genre de situation ». En particulier pour un jeune ministre qui n’a probablement jamais connu l’ambiance maussade et blafarde d’un Pôle Emploi au petit matin. La suite de sa réponse le confirme. Chômeur, Macron serait « inquiet, concentré et au combat. » Inquiet, certes. Mais « concentré » et « au combat » ?
Et le ministre de continuer, glissant rapidement quelques mots qui feront mouche : « je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essayerais de me battre ». Que vient de dire Emmanuel Macron ? Que les chômeurs ne sont pas « concentrés » ? Avec une population estimée entre 4 et 6 millions selon le mode de calcul, ils ont pourtant toutes les raisons du monde de se sentir à l’étroit.
Macron est un autre
Mais surtout, Macron semble considérer que les chômeurs ne sont pas assez combatifs. « J’essayerais de me battre », nous dit-il comme une évidence, relayant l’éternelle idée que les chômeurs sont les premiers responsables de leur chômage. Une idée très populaire à droite, moins au parti socialiste auquel Emmanuel Macron a toutefois rappelé qu’il n’appartenait plus.
Le chômeur idéal selon Macron serait « au combat » et « n’attendrait pas tout de l’autre ». Mais où le ministre a-t-il vu des chômeurs attendre tout de l’autre ? Et surtout : de quel autre parle-t-il ? Car les demandeurs d’emploi les plus en difficulté savent qu’ils peuvent compter sur la solidarité nationale, que des associations luttent contre le mal-logement, la précarité énergétique, la faim ou le manque d’accès aux soins médicaux. Ce soutien ne leur fait pas défaut.
Le seul « autre » dont les chômeurs attendent quelque chose, c’est le gouvernement. C’est une classe politique qui a le devoir de chercher des solutions pour enrayer une hausse incessante du chômage, qui devrait se décider à porter l’imagination au pouvoir plutôt que de fustiger l’épouvantail mai 68 tout en faisant la danse de la pluie autour du totem de la croissance américaine. Et cette attente, elle déplaît probablement au ministre Macron. En bon technicien qu’il est, le facteur humain ne peut que l’agacer.
Le complexe de l’altérité
« Si j’étais chômeur, je ne serais pas déçu, au contraire » conclut-il, affichant sa satisfaction pour une loi sans grand relief qu’il a dû imposer de force, et regrettant à demi-mot l’ingratitude d’une population qui s’obstine à rester au chômage après tout ce que l’on fait pour elle. Se rend-il simplement compte que les demandeurs d’emploi, notamment ceux de longue durée dont le nombre explose, ont de moins en moins l’impression de se battre et de plus en plus de se débattre ?
Se rend-il compte aussi que ce discours hautain, ce discours de classe qui ne trahit qu’ignorance et mépris, est aussi insane que dépassé ? Quelle compréhension du chômage Emmanuel Macron a-t-il pour le résumer à une question de courage, d’envie de se battre, de virilité façon Sarkozy ? Quand bien même le jeune ministre est un novice en politique, ses errements de communication mettent surtout en relief son manque cruel de connaissance du terrain.
Qu’il ne s’étonne pas, et qu’il ne revienne pas déplorer sur les ondes plus tard, qu’en effet les chômeurs n’attendent plus rien du tout de lui, à force de se considérer comme un « autre » concentré et batailleur. Quand bien même Emmanuel Macron n’aura aucun mal, et n’aura pas beaucoup besoin de « se battre », pour retrouver du travail une fois terminé son CDD de ministre, il devrait avoir à cœur de se soucier de qui risque de le remplacer. Et de ne pas se compromettre dans une attitude qui ne favorise que des extrêmes, des profiteurs de la misère qui savent à merveille tout mettre sur le dos des « autres ».