Magda Mokhbi, le flambeau liberté

Magda Mokhbi est directrice des Ateliers Marianne depuis 1999. Cette femme, qui a dû conquérir ses libertés, défend avec ferveur l’idée du chantier d’insertion vecteur d’émancipation.

Féminine et féministe, Magda Mokhbi a l’élégance des mots pour décrire sa vie avec recul et parler des rencontres qui ont nourri la construction de son identité franco-algérienne : une évolution qui ne s’est pas faite sans heurts et qui continue d’alimenter ses combats d’aujourd’hui.


Les origines kabyles

Née dans le 10e arrondissement de Paris, Magda Mokbi est la 7e enfant de parents kabyles originaires de la région montagneuse d’Algérie. Son père, adolescent orphelin, est venu travailler en France à l’âge de vingt ans. Maçon puis éboueur pour la ville de Paris, il repart en Kabylie pour se marier, reste quatre ans au pays puis retourne en France, et met en place le regroupement familial pour sa femme et son premier enfant, 3 ans après. D’abord logée à Paris, la famille va s’installer à Pierrefitte-sur-Seine en Seine-Saint-Denis, une des nouvelles cités HLM – modernes pour l’époque – construites en périphérie nord de Paris : « Pour mon père, avoir une salle de bains et des toilettes individuelles, c’était une réussite sociale. »

Au fur et à mesure des années, la famille s’agrandit. Magda est la cinquième fille, entourée de quatre frères. Enfant, elle ressent très vite – et n’accepte pas – la différence de traitement entre filles et garçons. Elle évoque le fils aîné « élevé comme un roi sans royaume », celui qui doit perpétuer le nom et protéger la famille. Le code de la famille algérien en est fortement imprégné, celui-ci avantage encore aujourd’hui l’héritier masculin. Magda évoque également la place des femmes, toujours debout pour servir, qui passent des mains d’un père à celles d’un mari, dans une acceptation programmée par la tradition culturelle.


L’enfance à Pierrefitte

Mais Magda grandit aussi dans une commune communiste qui œuvre pour l’éducation populaire : « Je sortais, on nous emmenait au musée, au spectacle… » Et son père l’autorise à faire du sport. De 7 à 18 ans, elle va pratiquer le basket jusqu’en compétition : « Être en short, porter les couleurs d’un club, c’était déjà s’émanciper. Mon entraîneuse était féministe et je voyais aussi les filles plus âgées qui travaillaient, partaient en week-end, avaient un amoureux… C’était un autre univers.»

Si le basket est une bouffée d’oxygène, elle ne se retrouve pas vraiment dans l’école. Exclue de l’accès au lycée, elle intègre par défaut un BP comptabilité qu’elle arrête en cours de route. Elle sent alors l’étau se resserrer : « Je ne pouvais pas rester, même si à l’intérieur du clan familial, il y avait de la douceur, ces moments où l’on chantait et dansait tous ensemble. Je me sentais opprimée et assoiffée de liberté…»


Le départ pour l’ Algérie

À 18 ans, elle demande à son père à partir en Algérie pour découvrir son « algérianité ». À cette époque, la politique algérienne avait mis en place un dispositif permettant aux enfants d’émigrés d’être prioritaires sur certains postes. Pour cet homme, qui guérit sa culpabilité d’avoir quitté le pays en y construisant une maison, c’est le signe que sa fille va enfin rentrer dans le rang.

La jeune femme part donc s’installer à Alger. Elle découvre alors une population plus ouverte que celle des émigrés : « Les femmes sortent, discutent avec les potes, chantent aussi bien Brassens et Brel que les musiques arabes et berbères. ». De 18 à 23 ans, elle va vivre ses premières histoires de femme libre, entre expériences professionnelles diverses dans les domaines administratifs et voyages à l’intérieur du pays.

En 1984, elle rencontre un jeune homme ingénieur avec qui elle partage des idées sociales et politiques. Le couple se marie en mairie, une voisine et un agent de la commune comme témoins : « Une façon de répondre à mon père qu’il ne me marierait pas. ». Quand on évoque ce mariage d’amour, Magda Mokhbi temporise : « J’étais programmée pour répondre aux désirs de l’autre. Quelle est la part de notre féminin que l’on a envie de garder ? Quelle est celle dont il faut se détacher pour pouvoir respirer sa liberté ? »


L’arrivée à Grenoble

Un an plus tard, son mari obtient une bourse pour faire sa thèse à Grenoble. Le couple revient en France et la jeune femme trouve un emploi dans un cabinet d’architecte où elle s’occupe de l’accueil, de la gestion, des comptes… Elle découvre aussi la population étudiante et participe à des conférences à l’université, qui lui donnent envie de reprendre des études. Elle passe avec succès le diplôme d’accès aux universités puis obtient le diplôme d’études comptables et financières, tout en travaillant.

Parallèlement, elle s’intéresse au milieu associatif et à la vie dans les quartiers du Village Olympique et de la Villeneuve où elle va successivement résider. Magda est notamment impliquée dans les écoles où vont ses deux enfants. C’est là que germe son besoin d’un métier porteur de liens, de sens. Et, c’est à la faveur d’une rencontre en 1998 avec Michel Belletante, à l’époque directeur de l’amphithéâtre de Pont-de-Claix, qu’elle va intégrer le chantier d’insertion « Les Ateliers Marianne » comme directrice gestionnaire – un chantier bien particulier, car l’activité se déploie autour de la fabrication de décors et de costumes de théâtre.


Les ateliers Marianne : une longue histoire

Une histoire qui débute en 1999, avec la création de la structure, et qui se poursuit encore aujourd’hui. Avec ce poste, elle découvre les politiques publiques de l »insertion et l’emploi : « À l’époque, le I de l’Insertion était prédominant sur le E de l’Économique. Aujourd’hui, le E est aussi important que le I. » Et elle continue de se former en passant, en 2006, le Master « politiques publiques et changement social » à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble.

Pour elle, il s’agit de « Faire évoluer les personnes dans leur globalité. Le passage par les ateliers Marianne se veut un tremplin qui apporte suffisamment d’énergie pour que les personnes se questionnent sur leur place dans ce monde, leur rôle dans la création de richesses à laquelle elles participent et sur le modèle éducatif qu’elles transmettent à leurs enfants. On leur transmet un savoir-faire, on défend l’accès à la formation ; et à côté de cela, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on peut leur transmettre sur le plan créatif et esthétique, culturel et sociétal. Ce qui participe à l’émancipation des individus. »

Malgré ses 18 années de métier aux Ateliers, Magda Mokhbi reste toujours touchée par la dignité des hommes et des femmes qui passent par la structure, en ayant parfois vécu des choses très dures. Elle reste animée par la volonté de permettre à chacun de s’affirmer : « Je respecte, mais je dis. Je dis qui je suis, mais je respecte. Je dis mes rêves et j’ai le droit de les dire. »