Il semble discret, réservé, presque effacé. Comme animé par une volonté de se fondre dans le paysage et d’éviter soigneusement d’avoir une quelconque influence sur ce qu’il voit. Nemat Rafiian est ainsi : mélange de discrétion et d’attention soutenue portée à ce qui l’entoure. Point d’agitation exagérée qui conduit à produire si peu, mais un calme qui dissimule une envie de voyager et de découvrir.
Né en 1962 à Mahabad, dans l’est de l’Iran, il découvre la photographie avec les moyens du bord : prise de vue, tirage qu’il maîtrise peu à peu. Une démarche d’autodidacte guidéee par une exigence qui s’affirme peu à peu dans ses images dont l’intérêt provient d’un regard attentif, une curiosité toute en nuance qui ne cède pas au voyeurisme. Est-ce parce qu’il appartient à une minorité malmenée de toute part (il est kurde) qu’il a ce don pour comprendre ceux qu’il rencontre et percevoir leurs douleurs sans être intrusif ou déplacé ?
Nemat ne sait pas parler de lui, alors il parle des autres et de ses rencontres. Il ne livre pas ses états d’âme mais se raconte dans des moments incongrus, inattendus qui donnent à ce personnage un côté Corto Maltese, plutôt que Tintin. Questionnez-le, il vous relate son reportage en Afghanistan juste avant le 11 septembre, à la recherche du commandant Massoud. Il parle avec empathie des gens rencontrés, des paysages, de ces conflits qui n’en finissent pas et vous dévoile au passage un voyage en avion dans une carlingue improbable pilotée par un personnage qui doit plus aux films d’aventure qu’à Antoine de Saint-Exupéry. Il raconte cela de sa voix posée, sans emphase, presque amusé d’un tel périple ou la réussite du voyage tient presque du miracle. En tous cas d’une bonne étoile.
Pour ce réfugié politique arrivé en France dans les années 80, le monde reste un terrain d’exploration. Il est toujours à la recherche d’une escapade, d’un territoire à découvrir, de nouvelles personnes à connaître. Depuis quelques années, il semble avoir posé ses valises à Grenoble qui s’est rapidement transformée en base arrière. De là, il a composé sa géographie personnelle se rendant en Irak en 1991, puis en Haïti, au Tadjikistan ou en Azerbaijan, photographiant au plus près des populations malmenées, victimes de conflits ou de dictatures. Témoin respecteux, silencieux mais attentif. Récemment, il a eu l’occasion d’intégrer la structure d’accueil Le Fournil où il est l’un des admistrateurs bénévoles. On aurait tort de croire qu’il s’agit d’une retraite et que Nemat a renoncé à sa philosophie de vie. Il ne fait que prolonger ce qu’il a toujours fait : s’intéresser aux autres, leur donner une légitime dignité et leur humanité. C’est dans cette structure qu’il poursuit également son activité de photographe toujours de la même façon : avec discrétion et humilité, restituant au mieux l’identité de ceux qu’il côtoie, rendant perceptible leur histoire, leur vécu. Dévoiler, suggérer, confronter plutôt que de voler des images et répandre une intimité. Et c’est lorsqu’il prononce ces mots que ce que nous prenions pour une grande timidité est en fait une formidable disponibilité à l’autre, un goût de découvrir et comprendre, débarrassé d’un quelconque préjugé.
Ses images se sont retrouvées sur des magazines, accrochées sur des murs, mais il ne s’arrête pas davantage à ce qu’il semble considérer comme appartenant au passé. Il est plus préoccupé par ce qu’il fait actuellement et ses projets à venir. On lui reprocherait presque de ne pas se poser pour nous livrer une rétrospective de cette errance photographique avec, forcément, un parfum d’inachevé et de transformation. Nemat sourit de ces reproches, il pense déjà à ce qu’il fera bientôt. Ses souvenirs ne sont pas un bagage pesant mais un moteur parfaitement entretenu. Il lui reste tant à découvrir.