– ou l’importance de la parole
Olfa Soltani est psychologue pour la CAF1 à la Cité des familles à Grenoble, un lieu dédié à l’accompagnement des familles. Elle leur propose des consultations dans ce contexte. Dans ce portrait, elle nous fait part des raisons qui amènent les personnes à venir la rencontrer, de ce que représente pour elles ce temps d’introspection dans leur quotidien et de leurs conséquences positives dans leur vie.
Son parcours et son métier
« Je suis psychologue clinicienne depuis plus de vingt ans. J’interviens dans plusieurs endroits : je travaille notamment auprès d’enfants handicapés depuis plus de vingt ans, et avec la Caf de l’Isère depuis plus de dix-sept ans. Avant cela, j’exerçais dans un lieu de visite médiatisée2. Et je mène en parallèle une activité de psychologue clinicienne en libéral. »
Dans quel cadre êtes-vous employée ?
« La Caf m’engage en tant qu’intervenante extérieure vacataire. J’interviens à la Cité des familles à Grenoble en tant que psychologue depuis plus de cinq ans. Avant, je travaillais aussi pour la Caf au Centre Social des Alpins, en accompagnement des groupes de « massage bébé » à son siège auprès d’équipes ou de personnel ayant rencontré différents types de difficultés.
La consultation de psychologue à la Cité des familles a lieu trois heures par semaine, le mercredi de 14h à 17h. C’est un service gratuit. Elle a pour but de constituer un soutien à la parentalité. C’est un lieu d’écoute conçu pour le bien-être, l’équilibre et la cohésion des familles. Son objectif est de maintenir les liens entre parents et enfants ou adolescents. Ils peuvent venir tous ensemble. Les adolescents sont parfois reçus seuls pendant que les parents attendent en salle d’attente.
La séance permet aussi d’accompagner les familles quand a lieu un événement traumatisant comme une séparation ou un décès. On peut également accueillir des futurs parents. Elle s’adresse à tous, même à des personnes qui n’habitent pas Grenoble. On y rencontre des personnes de toutes catégories socio-professionnelles et de toutes origines. Le fait que je parle anglais et arabe facilite la communication. »
Quelles personnes viennent vous voir ?
« Ce sont des personnes de toutes catégories sociales, et notamment beaucoup de gens du quartier. Je reçois plus de femmes que d’hommes, souvent des mères, mais aussi parfois des couples, avec ou sans leurs enfants. Il m’arrive de recevoir des pères seuls mais c’est une minorité. Il y a aussi des personnes handicapées qui viennent seules afin de parler de leurs difficultés à élever leur enfant. Dans d’autres cas, certaines problématiques se conjuguent entre les questions liées à la parentalité, les burn out professionnels, parentaux. Certaines personnes viennent sous injonction de soins judiciaires, dont les enfants sont placés ou qui font l’objet d’une enquête sociale ou à qui un juge a demandé de s’engager dans une démarche de suivi psychologique. »
Dans quel contexte ces consultations ont-elles été créées ?
« Elles existent dans le cadre du dispositif départemental de la Cité des familles, qui fait partie des actions portées par la Caf de l’Isère dans le cadre des « politiques familles ». Leur objectif est de favoriser les liens entre parents et enfants. De nombreux ateliers sont organisés à la Cité des familles : des ateliers créatifs, massage pour bébés, petits pots et sur le thème de la favorisation du lien familial. »
En quoi consiste votre poste de psychologue à la Caf ?
« La consultation est ouverte à tous, gratuite mais limitée dans le temps : nous offrons quatre consultations. Ce n’est donc pas un travail thérapeutique mais plutôt de dépôt, c’est-à-dire qu’il crée la possibilité d’exprimer des pensées et des émotions dans un cadre bienveillant et confidentiel. Il permet de déplier la problématique et d’offrir une écoute, ou potentiellement de conseiller vers d’autres lieux.
S’il est important que ce travail se poursuive, il ne peut pas continuer à la Cité des familles, mais à l’extérieur, dans des lieux que je recherche pour et avec les familles. Il faut savoir qu’étant donné les politiques actuelles, il y a très peu de possibilités d’orienter vers des offres de soin comme les CMP3 ou de tout ce que l’Etat peut offrir. De moins en moins de places sont disponibles et les conditions d’accès sont de plus en plus restreintes. Nous faisons donc face à des difficultés pour la prise en charge de la santé mentale et psychique dans les politiques actuelles sociales alors que les troubles psychiques sont de plus en plus importants. »
Que viennent chercher ces personnes en venant vous rencontrer ?
« Pour certaines personnes, c’est un lieu d’écoute en premier lieu. Elles peuvent avoir besoin de déposer des problématiques lourdes sur leur situation actuelle, des situations traumatisantes ou des situations difficiles à aborder comme l’arrivée d’un premier enfant, la naissance d’un deuxième enfant, des conflits dans la fratrie, une séparation, des problématiques de couple ou des violences conjugales – surtout des femmes dans ce cas. »
Auriez-vous quelques exemples de consultation à partager ?
« J’ai accompagné une jeune femme qui subissait des violences conjugales physiques mais surtout verbales et qui assez rapidement a pu prendre conscience de ce qui est permis et de ce qui n’est pas tolérable. Elle a décidé de se séparer de la personne, de prendre sa vie en main : passer son permis, retrouver un travail, puis un logement.
Il y a également le cas d’une enfant qui a été maltraitée, et dont la famille ne parle pas bien français ni anglais. Cette petite fille aurait subi des violences sexuelles mais cela n’a pas été bien traité dans leur ville d’origine. Nous envisageons de mettre en place des partenariats qui dépassent le cadre de la Cité des familles, avec France Victimes, un interprète et les services sociaux. »
Observez-vous des résultats concrets dans l’évolution de la vie des gens ?
Oui, je peux voir des résultats concrets, une réflexion se met en route, un équilibre psychique revient. Parfois les personnes sont tellement submergées par une problématique et si fatiguées qu’il n’y a même plus l’espace pour penser. C’est ce que je propose, un lieu pour réfléchir, penser à soi, dire les choses, se raconter et faire le point. Ainsi, d’une fois à l’autre elles peuvent me dire qu’à présent elles se positionnent différemment et que ça fonctionne. Il y a assez régulièrement des moments où je constate un retour positif. C’est gratifiant d’entendre qu’une porte s’est ouverte.
En quoi diffèrent ces profils par rapport à d’autres types de consultations?
« La particularité, c’est qu’une partie de cette population n’a jamais vu de psychologue de sa vie. Il peut ainsi y avoir des peurs, des questionnements, ou encore des attentes qui ne correspondent pas à ce que je peux leur apporter. Par exemple, souvent des parents viennent parce qu’ils s’interrogent par rapport au comportement de leur enfant ou pour avoir des conseils. J’adopte alors une posture de réassurance. On peut essayer de réfléchir ensemble à ce qu’ils pourraient faire pour améliorer une situation. »
Qu’avez-vous appris au fil du temps avec ces rendez-vous ?
Dans ce type de consultation, j’aime le fait que ces personnes n’iraient probablement pas voir un psychologue en libéral et constater qu’il y a des effets, des apaisements, une mise en route psychique : la personne redevient sujet de son histoire, de ses relations, et s’autorise à penser dans d’autres termes.
« J’ai aussi remarqué que dans le cas de violences conjugales notamment, la porte d’entrée de la Cité des familles est assez facile à ouvrir, c’est plus accessible que de réaliser des démarches de plainte. Il m’arrive de diriger les gens vers l’association France Victimes Grenoble. »
Avez-vous noté des problématiques récurrentes chez les personnes suivies ?
« Je constate de l’épuisement chez les femmes, souvent lors de la naissance d’un deuxième enfant, quand les congés maternité sont terminés. Je les invite à s’autoriser à se reposer mais ce n’est pas toujours possible. Cependant, la consultation en elle-même a la vertu de leur offrir un moment à elles. Beaucoup de gens témoignent aussi d’une peur de ne pas savoir bien faire les choses, de questionnements autour de la notion de parentalité… »
A titre personnel, qu’est-ce qui vous a encouragée à faire ces consultations ?
« Ce qui m’apporte de la satisfaction, c’est que ce public est différent de celui qu’on peut rencontrer ailleurs, et très varié. On ne s’ennuie pas ! Ce sont des histoires, des catégories sociales, des origines et des problématiques diverses. Et aussi, il existe une dimension de prévention dans ces consultations, l’idée est d’intervenir avant que ça n’aille trop mal. »
Quelles sont les qualités que ce travail vous demande de développer ?
« La qualité première, c’est l’écoute, et ensuite c’est de ne jamais juger ce qui est amené. Cela requiert aussi une certaine empathie et de savoir accueillir l’autre sans jugement. Et il est également important de laisser la place à la personne pour qu’elle puisse s’exprimer. »
Auriez-vous un message à faire passer ?
Oui, je dirais que parler, ça ne sert pas à rien.
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C’est un espace proposé par la CAF qui est dédié à l’accompagnement à la parentalité, pour les parents et les professionnels. Lieu ressource des futurs et nouveaux parents et parents “tout court”, il propose des activités comme des groupes d’échanges avec d’autres parents sur le thème de l’arrivée d’un enfant, des ateliers sur des sujets variés et même des soirées jeux ou théâtre. On peut y rencontrer des professionnels pour obtenir des informations sur l’alimentation pour les bébés, les relations parents-enfants ou dans la fratrie, les responsabilités parentales, les gestes de premiers secours. Et enfin, il est possible de prendre rendez-vous pour des consultations avec une psychologue (comme Olfa Soltani, dont nous faisons ici le portrait).
Il en existe un à Grenoble et un à Bourgoin-Jailleu.
> La Cité des familles de Grenoble se situe au 3, rue de Belgrade.
Nous remercions chaleureusement Olfa Soltani pour cette interview.
Photographie : © Olfa Soltani
- La Caf est la Caisse d’allocations familiales. ↩︎
- Les lieux médiatisés sont des consultations où les enfants rencontrent leurs parents avec un tiers, c’est-à-dire des accueillants psychologues, afin de médiatiser une relation qui comprend certaines difficultés. ↩︎
- Les CMP sont des Centres médico-psychologiques pour les enfants et adolescents ↩︎