Lundi 13 juin, Médecins au Monde a lancé une campagne choc pour dénoncer l’indécence du prix des médicaments : retour sur un début de campagne houleux avec Françoise Porteneuve.
Une campagne censurée
Médecins du Monde devait lancer mi-juin une campagne publicitaire visant à dénoncer les prix exorbitants de certains médicaments et traitements. Les affiches ont été boycottées par les compagnies d’affichage qui ne voulaient pas heurter la sensibilité des firmes pharmaceutiques. Elles ont alors été relayées dans les médias et sur les réseaux sociaux, et les bénévoles de Médecins du Monde ont organisé un affichage sauvage afin d’alerter l’opinion.
La maladie : un marché lucratif
Il faut dire que le ton de la campagne est particulièrement incisif : « Bien placé, un cancer peut rapporter jusqu’à 120 000 euros » ou « le cholestérol ? Un placement à forte rentabilité et garanti sans risques ». Une campagne que le Leem, syndicat des industriels du secteur de la pharmacie, qualifie d’outrancière.
Pour Médecins du Monde, qui alerte les pouvoirs publics depuis deux ans sur les dérives des niveaux de prix des médicaments en proposant des actions concrètes (obliger les industriels du médicament et les autorités régulatrices à fournir une information transparente sur les prix réels et les coûts de recherche et développement, activer le dispositif de licence d’office…) il s’agit avant tout d’interpeller l’opinion :
« Nous assumons le fait de choquer, car c’est la seule solution qui nous reste pour que s’ouvre dans le pays un vrai débat citoyen sur un problème de fond : la maladie est considérée comme un marché rentable ».
Pour Françoise Porteneuve, pharmacienne responsable de la pharmacie interne et co responsable du CASO de Médecins du Monde à Grenoble : « il y a eu – vers la fin des années 90 – un basculement éthique avec le rachat des petites entreprises pharmaceutiques par des grosses multinationales. »
Des coûts financiers intenables pour la Sécurité sociale
Si la tendance n’est pas récente, elle a atteint son paroxysme en 2014 avec l’arrivée de nouveaux antiviraux à action directe (AAD) sur le virus de l’hépatite C (VHC). Avec un prix de vente des combinaisons thérapeutiques entre 44000 et 66000 euros la cure de 12 semaines, traiter les 200 000 personnes infectées chroniquement en France reviendrait à 10 000 milliards d’euros, soit presque 1/3 des dépenses totales annuelles consacrées aux médicaments en France. Ce qui contraint les autorités à rationner l’accès à ces traitements aux personnes les plus lourdement atteintes (D’où le slogan : « seul 1 % des français peut se permettre d’avoir une hépatite C »).
Jusqu’alors, les industriels justifiaient les prix élevés en invoquant leurs dépenses R&D (Recherche et Développement) pour des populations de quelques milliers de personnes tout au plus.
Mais dans le cas du VHC, l’innovation thérapeutique concerne une population beaucoup plus large : 200 000 personnes infectées chroniques en France seulement. Les industriels du médicament n’ont pourtant pas adapté le prix en fonction de la possibilité d’amortir plus facilement les dépenses d’investissements. Ils ont au contraire utilisé cette opportunité pour maximiser leurs profits…
Car ils fixent les prix en fonction de la capacité des États à payer : plus un pays est riche, plus le prix du médicament sera élevé. C’est ainsi que les ONG ont pu faire diviser le prix des trithérapies par 100 afin que l’Afrique et l’Asie puissent en bénéficier, comme l’évoque Françoise Porteneuve :
Une des problématiques soulevées est donc l’évaluation des coûts de R&D des entreprises du médicament (les montants réels ayant jusqu’ici été classés confidentiels). Et Médecins du Monde de rappeler qu’une grande partie de la recherche médicale se fait dans le secteur public et que cette recherche est essentielle au développement des médicaments comme le Sofosbusir contre l’hépatite C.
Si les firmes pharmaceutiques sont montrées du doigt, c’est à l’État français que Médecins du Monde adresse sa pétition, afin que le gouvernement assume enfin sa fonction de régulateur d’un marché atypique. Françoise Porteneuve résume bien la problématique : « Vous soignez des gens, vous avez une clientèle captive, donc, on veut bien que vous gagniez de l’argent mais pas que vous traitiez les malades comme s’ils étaient des utilisateurs de Porsche ».