Les journalistes Mathieu Aron et Franck Cognard proposent dans Folles rumeurs une enquête sur la rumeur 2.0, les « nouvelles frontières de l’intox ».
Il en restera toujours quelque chose
Vieille comme le monde, la rumeur ? Les auteurs rappellent comment Socrate dénonçait déjà durant son procès les ragots voués à lui nuire, avec succès d’ailleurs. L’humanité ayant toujours eu besoin de coupables idéaux et de commodes boucs émissaires, la rumeur apparaît comme l’arme de choix pour vouer à la potence des individus innocents. Et Internet, un redoutable véhicule.
Politiques et « people » sont des cibles de choix pour les lanceurs de rumeurs. Mais si les auteurs s’interrogent sur la raison d’être des bruits relayant la mort de telle ou telle célébrité (de Bernard Montiel à Rihanna, autant dire que le spectre est large), la malveillance ne laisse que peu de doute lorsque des rumeurs présentent Martine Aubry comme une alcoolique ou affirment, via le faux témoignage d’une mère éplorée, que le fils de Christiane Taubira est en prison pour meurtre.
Quand elles ne visent pas des personnes, les rumeurs vont prendre la forme de thèses aussi absurdes que délétères. Lorsque par exemple on évoque des « exportations de Noirs » de la banlieue parisienne vers des petites villes, avec une variante rom pour certaines contrées. Dans ces cas, les schémas sont les mêmes : le bruit se répand comme une traînée de poudre, quelquefois relayé par des politiciens locaux sans grands scrupules, face à l’incrédulité désarmée des élus qui ne savent quoi répondre à l’absurde.
Car si la rumeur n’a aucun mal à s’installer dans les esprits, aussi ridicule puisse-t-elle être quelquefois, la démentir ou la contredire relève d’un travail de longue haleine, souvent périlleux. Dominique Baudis l’a appris à ses dépens : accusé de se livrer à des orgies meurtrières, l’ancien maire de Toulouse apparaîtra stressé et dégoulinant de sueur à la télévision, renforçant chez certains la conviction de sa culpabilité alors qu’il espérait délivrer un message de vérité.
L’intoxication publicitaire
Attaquer une rumeur, c’est la mettre en avant, c’est apprendre son existence à celui qui n’en avait jamais entendu parler, c’est apporter des arguments supplémentaires à ceux qui alimentent les ragots. Pourtant, malgré toutes ces difficultés, combattre la rumeur est bien souvent une nécessité, en particulier lorsque celles-ci prennent des entreprises pour victimes.
Les auteurs se penchent ainsi sur le monde de l’industrie et les rumeurs que des grandes firmes se jettent à la figure pour mieux affaiblir la concurrence. Aucun secteur ne semble épargné par ces malversations peu scrupuleuses, qui peuvent mettre en péril des milliers d’emplois. On apprend ainsi que les stratégies de lutte contre la rumeur sont très évoluées : loin du démenti pur qui laisse toujours planer le doute, mieux vaut parfois aller dans le sens du ragot pour mieux le désamorcer, sinon chercher à l’atténuer en lançant une autre rumeur à son tour.
Ce sont ces aspects, et d’autres encore, que Matthieu Aron et Franck Cognard décrypte dans leur enquête très documentée et bien souvent palpitante à lire, démontant les rouages de ces bruits qui, dans certains cas extrêmes, ont abouti à d’inimaginable déferlements de violence. On pardonnera bien volontiers quelques légères erreurs factuelles (l’amoureux des Beatles sursautera en lisant le paragraphe consacré à la rumeur sur la mort de Paul McCartney) face à la somme de travail que constitue cet ouvrage.
Mais surtout, le lecteur le refermera en s’interrogeant sur son propre rapport aux rumeurs, y-compris à celles évoquées par les auteurs dans leur essai, et sa capacité à ne pas laisser sa curiosité morbide – ou son désir de croire aux fables qui l’arrangent – déborder sur son sens de la probité et de la dignité. Et prendre du recul face au déluge d’informations qui, chaque jour, inonde nos écrans.
Folles rumeurs – Les Nouvelles frontières de l’intox
De Matthieu Aron et Franck Cognard
Éditions Stock
280 pages, 19 €