La crise amène de plus en plus de personnes, aux situations
et parcours très divers, à ne plus pouvoir assumer un logement. De gros efforts de solidarité sont réalisés sur l’agglomération. Mais la situation reste très tendue.
Accueillir tout le monde ?
En théorie, toute personne qui fait la demande d’un hébergement, quelles que soient son origine et sa situation, devrait pouvoir en obtenir un. C’est le principe d’inconditionnalité défini dans le Plan d’Action Renforcé pour les Sans Abris (PARSA), qui affirme aussi le principe de continuité, c’est-à-dire qu’un demandeur doit être hébergé jusqu’à ce qu’une solution durable lui soit proposée. Sur le papier, toute personne qui rentre en hébergement d’urgence ne devrait plus retourner à la rue, mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. En effet, la durée de séjour des personnes accueillies s’est allongée, car les solutions de sorties sont difficiles à trouver, en raison du manque de logements sociaux à loyers modérés et d’une offre d’hébergement mal adaptée à certains publics. Conséquence : il y a moins de roulement dans les structures d’accueil. Durant l’hiver 2008-2009, lorsque le 115 n’a pas pu offrir de solution d’hébergement, c’était, dans 54 % des cas, par manque de places. Et pourtant le Centre d’Accueil Municipal (CAM), qui reçoit l’essentiel des demandes d’hébergement d’urgence, affichait complet ou fonctionnait en surcapacité.
À cette situation de saturation, viennent s’ajouter de nouveaux publics : les ménages qui subissent les effet de la crise, les populations Roms, et aussi les demandeurs d’asile. Cet afflux des demandes provoque un ressentiment et des tensions, engendrant une véritable « concurrence des misères », alors qu’il est légitime pour tout le monde de vouloir trouver un refuge.
Le manque de ressources est une des raisons qui mène à l’exclusion. Pour Yves Clappier*, « ce qui va bloquer dans la majorité des cas pour les ménages qui remplissent les conditions d’accès au logement, c’est la question du revenu ».
*Adjoint à la direction du développement social et de la solidarité, chargé du secteur hébergement insertion, à la ville de Grenoble.
La position du CCAS de Grenoble
Il y a environ 4 000 places d’hébergement disponibles sur l’agglomération, dont 3 000 sur Grenoble. « L’offre est relativement suffisante en volume », selon le Vice-Président du CCAS, Olivier Noblecourt, mais elle est encore mal adaptée à certains publics, comme les jeunes en situation d’exclusion ou les retraités pauvres. Le problème de fond, c’est qu’« on ne peux pas gérer la question de l’hébergement uniquement au niveau de l’Isère. Il faut la gérer au moins au niveau régional. Lorsqu’à Grenoble on crée 200 places d’hébergement, dans d’autres départements, c’est seulement 10, voire aucune ». C’est pourquoi l’Isère (comme le Rhône) est particulièrement attractive pour les personnes sans logement.
L’accueil et l’hébergement des personnes sans domicile repose en grande partie sur les associations. La crainte d’Olivier Noblecourt, c’est la crise du bénévolat. Si la situation est difficile pour les personnes à la rue, elle l’est aussi pour les bénévoles et les travailleurs sociaux. Or, « on ne sortira pas de la situation actuelle sans des gens qui s’engagent ». Et de conclure : « On se bat, il n’y a aucun dossier qu’on laisse filer ».
Les demandeurs d’asile
La régionalisation de la demande d’asile est entrée en vigueur en 2009 en Isère. Désormais, en Rhône-Alpes, il n’y a plus qu’à Lyon et à Grenoble qu’il est possible de déposer une demande pour un nouvel arrivant. Cela a eu pour effet de multiplier par 2 les demandes sur ces deux villes. Mais à Grenoble, les places en Centre d’Accueil des Demandeur d’Asile (CADA) n’ont pas augmenté en conséquence. Bien qu’une centaine de places leur soient spécifiquement réservées dans le cadre du dispositif hivernal, les demandeurs d’asile ont aussi occupé l’essentiel des capacités d’accueil du CAM. Le 31 mars, à la fin du plan hivernal, les bâtiments temporaires mis à disposition ont dû être rendus. Depuis, les demandeurs d’asile ont été transférés rue Hoche dans des bâtiments destinés à la démolition, et attendaient que les 165 places d’hébergement promises par le préfet de l’Isère soient mises à disposition. Et tout cela s’est fait à la dernière minute. Pas par manque de respect des personnes, mais parce que ces places ont été très difficiles à obtenir. Une question se pose alors : comment faire en sorte que l’État et les collectivités locales débloquent des crédits pour que ces places soient pérennes, et que les nouveaux arrivants puissent ainsi aller au bout de leurs démarches ?
Des souffrances multiples
Au Fournil (association qui propose des repas à 1,50 euro et mène des actions socio-éducatives auprès de personnes en situation de précarité), Véronique Monier constate que vivent dans la rue beaucoup de jeunes entre 18 et 25 ans, exclus du noyau familial, qui ont souvent navigué de foyer en foyer, mais aussi des personnes de plus de 50 ans qui ont perdu leur travail. Depuis trois ou quatre ans, elle voit également une augmentation de bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé, ainsi que des personnes sortant de prison ou d’hôpitaux psychiatriques.
Tous ces publics sont fragiles, en carence affective ou en souffrance psychologique. Parfois des problèmes d’alcool et d’addictions diverses viennent s’ajouter, créant des tensions difficiles à gérer pour les bénévoles.
Une action a été menée l’an dernier avec des psychiatres libéraux dans quatre accueils de jour et au CAM. Cette initiative a ramené une certaine sérénité dans le travail et a permis de mesurer l’ampleur du malaise de personnes en situation de précarité : les premiers chiffres disponibles indiquent que sur 100 consultations, 30 relevaient de la psychiatrie.
Cachez cette misère que je ne saurai voir…
La demande d’aide exprimée est difficile à satisfaire, mais c’est sans compter sur le fait que les situations de galère sont souvent vécues dans l’isolement, parce que demander de l’aide est difficile. À l’inverse, il est facile de s’indigner ou de se révolter contre les bidonvilles dans lesquels les Roms se réfugient, comme celui qui existe près de la rocade sud à Saint-Martin-d’Hères. Mais ces derniers ont le mérite d’être visibles. Pour chacun d’entre eux, combien de petits refuges disséminés un peu partout en ville dont on ne soupçonne pas l’existence ? Combien de misère cachée existe dont nous n’avons pas vraiment conscience ? D’un côté on essaye de cacher la misère et de l’autre on n’ose pas la montrer.