Dix ans après sa mort, le romancier Selby Jr. fait son retour dans les rayons des librairies en tant que nouvelliste. L’occasion de redécouvrir un talent à part, et une plume imparable.
Rétrospective
Dans sa carrière d’écrivain, deux ouvrages d’Hubert Selby Jr. auront provoqué un électrochoc médiatique : son premier, et son dernier. Last Exit to Brooklyn suffoquera par son style incisif et la violence de son propos, Le Saule étonnera par son ton implacable servant pourtant un grand message d’optimisme.
Au milieu ? D’autres romans qui seront accueillis avec une relative indifférence par la critique ou boudés par le public, malgré leurs évidentes qualités et le talent de plus en plus impressionnant de leur auteur. Et des nouvelles, qui seront réunies dans un recueil, Chanson de la neige silencieuse – Song of the Silent Snow –, édité en France en 1986 et que les éditions de l’Olivier republient aujourd’hui.
On retrouvera dans la plupart des quinze textes qui composent ce recueil le phrasé typique de Selby, qui lui a valu si souvent d’être comparé à Louis-Ferdinand Céline. Une langue souvent crue dans laquelle les dialogues se mélangent à la narration, où les mots des protagonistes et, bien souvent, leur argot de rue font corps avec le texte. Rien de vulgaire ou de trivial sous la plume de cet écrivain, mais un sens aigu du langage, une justesse de ton qui impressionne toujours, où quelquefois l’élégance côtoie l’ordure.
On découvrira également des récits plus intimistes, sous forme épistolaire ou à la manière de monologues intérieurs, au sein desquels l’auteur raconte la déshérence mentale, la souffrance des esprits encore plus que des corps. Du délire psychotique au vague à l’âme post-dépression, Selby sait faire vivre une pensée, plonger à l’intérieur de ses personnages et nous faire ainsi les comprendre, sinon les vivre.
Introspections
En réalité, chaque nouvelle est un portrait. De deux joyeux imbéciles qui se saoulent à mort dans une salle de cinéma, d’un clochard amoureux de son manteau, d’une femme placée en asile psychiatrique, d’un ancien marin qui rêve aux baleines, d’un enfant qui sent poindre en lui la mélancolie de l’adolescence…
Que les mots soient calmes ou violents, que les histoires soient tragiques ou (méchamment) comiques, l’auteur délivre des instantanés de vies et de ressentis qu’il capte et relate avec une exceptionnelle acuité. Et si l’on compare son style à celui de Céline, c’est avec Balzac qu’il faut rapprocher cette capacité à plonger ainsi au cœur de ses personnages, ciselés, terriblement humains dans chaque détail.
L’univers de Selby n’est pas joyeux. Une menace sourde plane toujours au-dessus de ses mots, et l’auteur n’est pas naïf face à l’espèce humaine. Et pourtant cet univers exalte aussi la beauté et l’espérance, accorde parfois à ses personnages le droit à un heureux dénouement, dans des choses infimes qui représentent tellement pour eux. C’est cela, la chanson de la neige silencieuse. Des instants de beauté et de sérénité qui justifient.
On regrettera de fait les – plutôt nombreuses – coquilles qui jalonnent les pages de l’ouvrage, et plus encore une grossière erreur de traduction qui nuit totalement au sens et à la logique de l’une des nouvelles, tant et si bien que le lecteur motivé devra se tourner vers le texte original pour comprendre ce que voulait dire l’auteur. Sans être rédhibitoires, ces petites faiblesses irritent face à un recueil de si grande qualité, en particulier chez un éditeur aussi prestigieux que l’Olivier.
Mais cela ne doit pas empêcher l’amoureux de littérature américaine, ou l’amoureux de littérature tout court, de lire Chanson de la neige silencieuse, véritable manifeste des sensibilités d’Hubert Selby Jr, auteur unique et singulier qui, jamais, n’aura cédé aux sirènes du cynisme ou de la facilité.
Chanson de la neige silencieuse
D’Hubert Selby Jr.
Traduction de Marc Gibot
Éditions de l’Olivier
280 pages, 13,90 €