Le Musée de Grenoble propose jusqu’au 2 février 2014 une exposition temporaire consacrée au peintre allemand Sigmar Polke. Une visite au sein d’un univers éclectique et surprenant à ne rater sous aucun prétexte.
Mondes et contours
La richesse et la densité, c’est ce que l’on ressent au sortir de l’exposition temporaire que le Musée de Grenoble consacre à l’artiste-peintre Sigmar Polke. Salles après salles, l’univers de ce créateur ne cesse d’étonner et une surprise semble nous attendre au détour de chaque pan de mur, sinon un choc ou un émerveillement.
Formes et couleurs
Un choc face à la magnificence de certaines œuvres. Les Triptyques présentés dans cette exposition ont de quoi, l’un comme l’autre, laisser le visiteur bouche bée. Magnificence par la taille des tableaux, naturellement, mais aussi et surtout par le jeu de couleurs qui émane de ces remarquables compositions. Si le figuratif ou le représentatif a sa place au sein de cette exposition, ce sont ici les couleurs et rien qu’elles qui sont au centre de ces deux Triptyques. Liquides et chaleureuses pour le premier, évoquant le miel ou la cire des ruches, imposant une magistrale sérénité malgré ses lignes aléatoires, ses impuretés et ses traînes. Plus tourmentées dans le deuxième, lorsqu’un rouge pâle comme en paysage nous dirige vers des verdures aux teintes aquatiques, lorsque des formes indistinctes suggèrent une présence, une âme. Une nausée.
Les couleurs sont un sujet à part entière chez Sigmar Polke, une matière sur laquelle il ne cesse de revenir. La série des Essais de couleurs, pour la plupart inédites, est une façon de rentrer dans l’intimité du processus créatif de l’artiste et de son rapport à la couleur et des formes auxquels elle peut donner naissance, depuis le violet qui s’impose en cercle embryonnaire au marron qui dessine une spirale hirsute et violentée.
Couleurs encore que l’on retrouve dans des tableaux aux titres évocateurs, tels que Bonnet de nuit ou Lapis-lazuli, où les teintes suggèrent l’ambiance comme l’objet, des abstractions devant lesquelles il suffit de se tenir pour réaliser qu’elles ont beaucoup à nous dire. Et l’on restera en arrêt de longues minutes devant ce tableau, dénué de titre, où l’acrylique bleutée ou blanc de cadmium s’étale sur un implacable fond noir, figurant un corps liquide aux reflets laiteux ou séminal, d’où exhale une étrange, une indicible beauté.
Objets et sujets
Mais tout n’est pas que couleurs ou abstractions le long des salles de cette exposition. Sigmar Polke est aussi un peintre de la réalité, parfois la plus quotidienne qui soit, ainsi que l’illustrent des œuvres tells que Torchons, Mercedes ou Notre service client, qui s’ancrent dans le prosaïsme des ménages ou de la société de consommation, sans même relayer de message critique ou satirique, faisant juste la démonstration de cette esthétique. Proche du pop-art dans l’esprit, ces œuvres comptent peut-être parmi les plus déroutantes, quand le concept semble prendre le pas sur le sens.
Un sens qui ne manque pas, en revanche, dans des tableaux bien plus politisés où l’artiste, qui fuit en son temps la dictature est-allemande, raconte la violence des civilisations, à travers un tableau comme Réfugiés, réalisé en 1992, montrant la silhouette d’un homme et d’une femme courant dans notre direction, portant dans leur bras le strict nécessaire. La tension et l’urgence sont palpables dans cette toile qui impressionne à plus d’un titre. Mirador, réalisé en 1984, est pour sa part un tableau poignant qui figure des barreaux d’une prison auxquels s’accrochent des mains désespérées. Citons encore cette œuvre représentant un homme fouillé contre un mur sous la menace de deux policiers en arme, que l’artiste, comme écœuré, intitule : On voit très bien ce que c’est.
Mais la violence historique n’est pas exempte des préoccupations de Polke, lorsqu’il nous représente des scènes de la Révolution Française dans un tableau comme À Versailles, à Versailles où une foule de femmes et d’hommes chargent piques en mains et sa suite logique, Piques, où des têtes de nobles sont exhibées, élevées dans les airs, plus haut encore que la croix du clocher en arrière-plan, devant un ciel grisâtre que parcourent des nuages rouges, comme ensanglantés. Français que nous sommes, il est difficile de ne pas être interpellé par ces réalisations lourdes de sens, porteuses d’espoir autant que de cruauté.
Silences et sourires
Difficile, impossible, de résumer en quelques phrases voire en milliers cette exposition que nous propose le Musée de Grenoble. Sigmar Polke est aussi éclectique que prolifique, capable de nous faire rire (Un tableau ne devrait pas être plus grand qu’un lit) pour mieux ensuite nous réduire au silence, nous imposer sa conception du beau, sa vision du monde (Quelque part tout en haut, Mains), à travers des œuvres de tous formats et qui convoquent des esthétiques variées, inattendues, parfois contradictoires.
Et l’on finira ce tour impressionnant de l’univers d’un artiste en découvrant l’installation Lanterne Magique, petite maisonnette proposant une série de vitraux profanes narrant l’histoire d’un chien sachant tisser, portant de beaux atours et donnant la gougoutte à son chat. Un air de féerie pour conclure avec un sourire enchanteur et enchanté la visite de cette exposition exceptionnelle et indispensable.
Sigmar Polke au Musée de Grenoble.
9 Novembre 2013 – 2 Février 2014.
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h00 à 18h30 (sauf le 25 décembre et le 1er janvier).
Gratuit le premier dimanche de chaque mois
Gratuit pour les demandeurs d’emploi et titulaires du RSA, sur présentation d’un justificatif de moins de trois mois.