Jean-Jean est employé à la sécurité d’un grand magasin. Sa dernière mission ? Espionner telle caissière qui a le malheur de ne pas scanner les articles assez vite, et trouver un prétexte pour que ses employeurs puissent la renvoyer. Une histoire d’amour avec un chef de rayon fera l’affaire.
Mais lorsque l’un comme l’autre sont convoqués dans le bureau du directeur et mis face aux preuves de leur idylle ainsi que de leur licenciement, les choses ne ne passent pas comme prévu, et Jean-Jean tue accidentellement la caissière. Une anecdote regrettable, aux yeux de la direction. Mais les enfants de la victime, quatre jeunes hommes-loups n’ayant aucune forme de respect pour la vie humaine, ne partagent pas ce ressenti.
Manuel de survie à l’usage des incapables est un roman touffu, qu’il est difficile de résumer en quelques lignes. Se déroulant dans un monde futuriste qui, évidemment, rappelle énormément le notre, il dépeint une société où la violence est omniprésente, sous toutes ses formes. Violence sociale, à travers la philosophie des entreprises qui gouvernent le monde. Violence urbaine, à travers le portrait de quatre délinquants dénués de toute forme de remords. Violence tout court, à travers la description d’un univers où la déshumanisation est devenue la norme, où tout se contient et terme de rationalité, d’efficacité et de rendement.
Traumatisme pour être honnête
Ne vous laissez pas abuser par un titre qui pourrait laisser croire à un ouvrage humoristique : si l’on rit quelquefois en lisant ce roman, c’est d’un rire jaune qui tente de masquer le malaise. Le portrait constant d’hommes et de femmes réfugiés à l’intérieur d’eux-mêmes, s’enterrant dans leur seule et unique logique pour survivre dans un monde qui utilise et traite l’humain comme un produit ou un logiciel, ne peut qu’écœurer. Et l’incapable dans cela, c’est le personnage de Jean-Jean. Seul encore à rêver une vie qui le rendrait heureux.
Si la lecture de ce roman vaut largement le détour par la description édifiante et effrayante des travers dans laquelle notre société semble se diriger à grand pas, on reprochera peut-être à son auteur d’avoir voulu trop en faire. Outre ses digressions ou ses étalages de concepts quelquefois par trop envahissants, la propension de Thomas Gunzig a vouloir mélanger le laid et le beau, l’amour et la cruauté ou l’élégance et le vulgaire dans un même ensemble laisse perplexe. Et pose, au sein de cette ambiance malsaine, la question de l’outrance du narrateur, voire de sa complaisance.
Pour autant, Manuel de survie à l’usage des incapables se présente comme un ouvrage plein d’énergie, souffrant sans doute de ses quelques excès ou de ses rares longueurs, mais nanti d’une narration habile qui parvient à creuser avec beaucoup de finesse la psychologie de chacun de ses personnages sans rogner sur la qualité ou le rythme du déroulement de son histoire. Un livre qui laisse un arrière-goût dans la bouche, et trotte en mémoire longtemps après qu’on l’ait refermé.
Manuel de survie à l’usage des incapables
De Thomas Gunzig
Éditions Au Diable Vauvert
416 pages, 18€