Touriste de Julien Blanc-Gras : l’ironie en bagage accompagné

Depuis quelques années, les récits des voyageurs ont une fâcheuse tendance à prendre une tournure mégalomaniaque, véritable mise en scène de l’auteur en aventurier moderne, déroulant des rencontres inattendues et repoussant les limites de l’exploit, de la mort et souvent du ridicule. « M’as-tu vu en voyageur ? » suffirait à résumer le contenu de ces ouvrages régulièrement publiés, foisonnant d’anecdotes authentiques et de photographies normalisées, aux couleurs légèrement saturées. Une fois le livre refermé, après la page de remerciements adressés aux sponsors et mécènes, que retiendrons-nous de ces témoignages dont les commentateurs nous avaient souligné l’authenticité ? Rien ou dans le meilleur des cas pas grand chose.

L’ouvrage de Julien Blanc-Gras, Touriste, constitue un véritable antidote à cette incroyable banalisation du récit de voyage. Les raisons ? Un style léger en apparence, un humour pertinent  qui ne cède pas à la facilité et évite le cynisme désinvolte. L’intérêt de ce livre tient essentiellement dans la justesse du point de vue : l’auteur nous fait partager ses interrogations sur son statut de voyageur et nous invite à reconsidérer notre conception du voyage. En ce qui le concerne, c’est presque le simple attrait des globes terrestres et des atlas qui sont à l’origine de son goût immodéré pour la découverte de nouvelles contrées. Exit l’alibi humanitaire ou la recherche d’émotions fortes, Julien Blanc-Gras n’est pas addict aux bons sentiments ou à l’adrénaline. Il veut voir, connaître, comprendre, rencontrer, se confrontant à un statut de touriste qu’il ne parvient jamais à effacer totalement : gringo tu es venu, gringo tu resteras !

Ce qui nous est proposé c’est une agréable promenade au gré des pérégrinations de ce Philéas Fogg assagi qui ne cherche pas à nous en mettre plein la vue, mais à nous dévoiler sa conception du voyage et son goût de l’errance. Il met à mal les clichés, se moque d’un tourisme convenu et formaté où tout est sujet à visite, même la misère. Ainsi, nous est contée une visite organisée via une agence de voyages d’une favela à Rio. Rien n’échappe donc au commerce du loisir ?… Si une douce ironie parcourt les pages, elle est habilement dosée, composée de dénonciation et d’auto-dérision et suffisamment souple pour nous confronter soudainement à une tragédie, une lâcheté. C’est en quelques mots simples que nous est dépeint le comportement abject d’un responsable de mission scientifique abandonnant dans une tempête des pêcheurs malgaches. Quelques mots suffisent pour produire une émotion profonde et inattendue.

Nous suivons plus qu’une simple invitation aux voyages :  c’est une réflexion sur notre condition. Voyager… pour quoi faire ? Pour vivre quoi ? Julien Blanc-Gras nous évite l’habituel album de voyages, presque heureux d’avoir perdu son appareil photos. Il nous incite à cultiver notre point de vue plutôt que de rechercher vainement un meilleur. Quand voyager forme la pensée.

 

Touriste de Julien Blanc-Gras, éditions Au Diable Vauvert