Le monde des super-héros comme vous ne l’avez jamais vu, c’est ce que proposent Erich Origen et Gan Golan dans ce « comic » aux reflets libertaires, Unemployed Man, édité pour la France sous le titre Les Aventures d’Ultra-chômeur.
Les Destructibles
« Mon ennemi, c’est la finance » clamait François Hollande moi-candidat. Mais au lieu de revêtir masque et cape de circonstances, François Hollande moi-président s’est contenté d’un casque et d’un scooter, et d’un pacte de responsabilités qui fait grincer bien des dents dans son propre camp.
Rien ne dit, bien sûr, qu’un super-héros ferait un bon président, mais force est de reconnaître que celui qui prétend combattre la finance à lui tout seul ferait mieux d’avoir le profil d’un Superman que celui d’un débonnaire Achille Talon. C’est en quelque sorte la conclusion des Aventures d’Ultra-chômeur, que les éditions Presque Lune proposent aux lecteurs français, via une traduction et une adaptation de très belle facture.
Ultra-chômeur est un super-héros d’un autre genre. Ancien héraut du libéralisme à tout crin sous le nom d’Ultimatum, vantant auprès des pauvres la motivation et la « positive attitude » et répandant la bonne parole du rêve américain, le voici licencié par sa compagnie lorsqu’il prétend s’attaquer à la question des travailleurs pauvres et aux inégalités de salaires entre salariat et patronat. Relégué dans les bas-fonds de la société des super-héros, il découvre que la motivation et la soif de réussir ne suffisent pas pour gravir les échelons de la réussite sociale.
Rejoignant les rangs d’autres super-héros déchus qui ont trouvé refuge dans un bidonville, Ultra-chômeur découvrira les destins de ses congénères. Wonder Mother, celle dont la maternité a mis un coup d’arrêt définitif à sa carrière prometteuse. Master of Degrees, à qui les hautes études n’amènent que chômage dès lors qu’il refuse de travailler pour les vilains. Ou White Race, le travailleur moyen a qui la Fox a instillé le virus de la haine pour le transformer en un Hulk raciste, homophobe et manipulable à souhait.
Ensemble ils vont combattre le modèle ultra-libéral qui n’enrichit que les plus riches et alimente l’accroissement des inégalités économiques. Système glouton, immoral, qui s’autorise à privatiser et monétiser chaque chose, et finira par se détruire lui-même à force de croire aux vertus de l’autorégulation. Et Tout le monde, super-héros hérité du New Deal, défenseur d’un progrès social partagé par tous, retrouvera sa liberté après des années de captivité et d’exploitation.
Le masque et la plume
Tour à tour édifiant et hilarant, Les Aventures d’Ultra-chômeur se présentent à la fois comme un merveilleux pastiche de bande-dessinée américaine et comme une charge contre les injustices d’un capitalisme qui a totalement perverti son propre modèle et ses propres aspirations. À travers sa galerie de personnages, le super-héros redevient ce qu’il était à l’origine : l’incarnation d’un individu capable de créer une différence, de changer le monde. Non plus en luttant contre la délinquance urbaine, mais contre le réseau des pouvoirs qui finit incidemment par la générer.
Mondialisation oblige, et à quelques exceptions près, les phénomènes sociaux que décrivent ce comic sont très proches de ceux que connaissent nos sociétés européennes. Le lecteur qui ignore tout des États-Unis ne sera pas dépaysé face à ce portrait d’un monde économique autant anthropophage que cannibale, et constatera que les questions de sécurité sociale ou de retraite, par exemple, sont aussi importantes pour les populations outre-Atlantique que pour celles du vieux continent.
On ne peut que recommander ce magnifique objet de subversion graphique, cette satire se jouant de tous les codes, qui touche juste dans la forme comme dans le fond et nous fait même le plaisir de nous offrir un happy end. Un An 01 de Gébé, à la sauce Marvel. Bref, un livre « super ».
Les Aventures d’Ultra-chômeur
de Erich Origen et Gan Golan
Éditions Presque Lune
84 pages, 17,50 €