Dans la bande-dessinée Le Travailleur de la nuit, Matz et Chemineau revisitent l’histoire d’Alexandre Jacob. De 1890 à 1954, histoire de l’homme à l’origine de l’archétype du dandy cambrioleur.
Alexandre Jacob est un homme qui ne cesse de fasciner : c’était lui le premier dandy voleur, non-violent mais violemment politisé, charmant et bien éduqué. Il aurait même été une grande influence pour la création du personnage d’Arsène Lupin. Et il semblerait que, ces dernières années, les auteurs de bandes-dessinées redécouvrent ce personnage nimbé de mystère et de convictions anarchistes. Matz et Chemineau se focalisent sur le personnage d’Alexandre Marius Jacob, chef de tête de la bande de voleurs les Travailleurs de la Nuit. L’histoire retrace, dans une première partie, sa vie de marin à gentleman cambrioleur. Dans la seconde partie, les auteurs racontent sa vie du bagne jusqu’à son retour en France pendant l’entre deux guerres.
« J’ai vu le monde, et il n’était pas beau »
Dès son plus jeune âge, Alexandre Jacob a quitté l’école pour vivre la vie d’aventurier des mers. Là, il découvrit ce que l’homme faisait de pire : esclavagisme, prostitution, inégalités sociales, piraterie et enfin la prison à son retour. Il rejoignit alors les cercles anarchistes de la fin du XIXe siècle et y trouva sa première femme. Il ne participa pas aux attentats sur le Parlement ; il préférait faire payer les plus riches, ceux qui sont « inutiles à la société », de manière pacifique. Ainsi est né le Travailleur de la Nuit, et son réseau de malfrats anarchistes.
Dans Le Travailleur de la nuit, Léonard Chemineau dessine une France de la IIIe République aux tons sépias, de terre et de bois. Certaines scènes sont contemplatives, du port de Marseille aux rues endormies de Paris. Dans d’autres, l’illustration fait la part belle au mouvement et au dynamisme : changement de couleurs, de traits, le dessinateur n’hésite pas à montrer une réalité violente et des personnages expressifs. Dans chacune des cases, une ambiance ancienne se dégage, comme un fenêtre sur toute une époque.
Une apologie de la solidarité
Si Alexandre Jacob volait, c’était pour punir « ceux qui s’enrichissent sur le dos des plus pauvres« , mais pas les « autres » riches : le cambrioleur ne s’en est jamais pris aux artistes ou aux docteurs. La flamme de cet activisme fut cependant atténuée à sa condamnation au bagne. Il ne put cependant jamais refuser de l’assistance à ses congénères, si leurs raisons étaient justes à ses yeux. Mais cette fois-ci dans un cadre plus légal : il apprit le droit au bagne pour aider ses compagnons d’infortune. Même s’il ne volait plus, il continuait ses actions solidaires, dans l’ombre. C’est donc sans grande surprise qu’il a aidé la résistance lors de la seconde guerre mondiale.
Dans une chronique de février 2016, Le Bon Plan découvrait « Alexandre Jacob » de Vincent Henry et Gaël Henry. Dans leur version, ceux-là présentaient une autre facette d’Alexandre Jacob : un homme attaché à la liberté et à la fraternité. Ici, dans Le Travailleur de la nuit, Matz et Chemineau explorent l’aspect idéologique de l’homme, son désir d’égalité pour tous et sa solidarité. Cet amour de l’autre, le dandy cambrioleur le défendra jusqu’après sa mort : ne voulant gêner personne, il fit la lessive, le repassage, nourrit les animaux, et prévit même deux litres de rosé pour ceux qui le trouveraient. Pour Matz et Chemineau, le travailleur de la nuit était, avant tout, un homme qui aimait l’humanité, et travaillait toujours, à sa propre échelle, à rendre le monde un peu moins hostile envers les moins fortunés.
Le Travailleur de la nuit
Matz & Chemineau
Éditions Rue De Sèvres
128 pages
18 €