Par ces temps de jeunisme outrancier et de super-héros névrosés, voici l’antidote : Les Vieux Fourneaux de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet. Une BD détonante au carrefour du road movie et des films de Michel Audiard qui plaira aux jeunes comme aux anciens. Jubilatoire… – Pardon ? Je dis « JUBILATOIRE ! »
En parcourant les premières pages des Vieux Fourneaux, on aurait tendance à croire qu’il s’agit de la énième BD psychologique, faisant la part belle à la contemplation prise de tête, façon les films français les plus ennuyeux de la dernière décennie du vingtième siècle. Une promesse d’ennui et de nombrilisme. Une suite de cases muettes où l’on s’essaie à trouver le fil de l’histoire, le début du début. En fait, il s’agit là d’un piège pour le lecteur qui perd peu à peu ses repères et se voit obligé de rentrer dans l’histoire, amené à prendre le rythme et le ton voulu par les auteurs. Du coup, impossible de lâcher le livre !
Vive la sociale
L’action part donc d’une maison de retraite où Pierrot va chercher Mimile pour se rendre à la crémation de l’une de leurs amies Lucette (accessoirement créatrice du Théâtre du loup en slip). Évidemment, Ils arriveront trop tard à la cérémonie mais ils retrouveront le mari de la défunte, Antoine. Et ces retrouvailles d’amis de plus de trente ans seront l’occasion d’évoquer le passé, dominé par l’engagement la révolte et les luttes sociales, et de découvrir certains secrets qui viendront bousculer la vie de ces éternels révoltés. Antoine part « en mission » armé d’un fusil, tandis que ses compagnons de route, partent à sa recherche, accompagnés de sa petite-fille en état de grossesse avancée. Histoire de l’empêcher de commettre l’irréparable…
Ainsi, les personnages et le décor sont campés, l’action est lancés et nous voici ferrés, mordant à l’hameçon de cette aventure, rythmée par des dialogues dignes de Michel Audiard. Les périples de ces anarcho-syndicalistes, si attachants, jouent habilement sur plusieurs tableaux : humour, drame, fresque sociale, conflits des générations sans jamais s’abandonner à la facilité et aux effets attendus. La BD est probablement l’art de la construction et de l’ellipse et ici nous sommes servis : maîtrise de la narration et rebondissements en tous genres pour mieux nous captiver. Le trait est efficace, inspiré, traçant de vraies gueules sans tomber dans la caricature : sans concession mais juste.
Histoire sans fin
Si le lecteur se réjouira en parcourant les pages des Vieux Fourneaux, tour à tour ému, épaté, hilare (à propos, quand avez-vous ri aux éclats en lisant une BD ?), il regrettera d’arriver trop tôt à la fin de l’ouvrage et de devoir attendre la parution du deuxième tome. Il pourra se consoler en relisant les exploits épiques de ces caractères bien trempés et si attachants : il aura plaisir à découvrir un bon mot lu trop vite, un détail dans une case qui méritait bien un deuxième voire un troisième passage, un gag pas même épuisé par de multiples relectures.
Il faudra donc attendre, avec l’impossibilité de se défaire de ces personnages qui nous sont devenus si proches et si familiers. Notre imagination va se risquer à de multiples supputations pour le tome 2. En un volume seulement, les auteurs ont constitué un public d’aficionados. Tous les ingrédients sont réunis pour construire une série à succès, tant le ton est original. Il ne serait pas étonnant que le cinéma s’intéresse sous peu à ce road movie si particulier. On parie ?
Les Vieux Fourneaux
T. 1 Ceux qui restent
de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet
Editions Dargaud