Les Editions du Rouergue viennent de publier « Squat », le premier roman de Yannick Bouquard, qui, avec une maîtrise de la langue aussi rare qu’originale, fait plonger le lecteur dans l’ambiance du squat, avec ses personnages et ses aventures.
La narration transporte tout de suite le lecteur dans le contexte. C’est le langage du squatteur, le vocabulaire du squatteur, qui exprime l’esprit du squatteur. Mais bien loin d’être une collection de vulgarités (même si certaines expressions sont soigneusement choisies), la langue de Yannick Bouquard est à elle seule une œuvre d’art et justifie la fréquentation de ce livre. On apprécie la richesse du vocabulaire: en argot ou au travers d’une sémantique relevée. Ce livre est une véritable leçon de langue française, dont on se délecte sans intermède tout au long de la lecture (dictionnaire recommandé). Mais plus encore, en amont de la virtuosité des mots, c’est le verbe qui leur donne vie qui séduit. Un humour décapant, mais souvent tendre, est le mode de description plein d’esprit des situations cocasses et des personnages, pour lesquels on se prend vite d’affection : au final, le style simple mais brillant de l’auteur le rend sympathique et nous conduit sans résistance au travers de leurs aventures.
L’histoire ? Une bande de copains squatteurs prennent possession d’un collège à l’abandon, investissent les lieux, s’y installent, et vivent ensemble l’aventure du « squat ». On rencontre alors une floppée de personnages, caractéristiques sinon caricaturaux, lesquels sont les acteurs d’une succession d’épisodes où les destins se croisent. L’auteur parvient à tenir en haleine le lecteur, avec une alternance des différents moments qui jalonnent l’aventure, et, comme dans tout bon roman, on est passionné par le récit. Parfois on rit franchement, tant l’humour, le style et la franchise verbale des personnages mettent dans le mille. D’autres fois on se sent concerné et on est même touché par les galères ou les drames qui affectent les personnages.
C’est au travers de cette histoire que l’on prend conscience de ce que signifie « squatter » et de ce que peut être le quotidien du squatteur. Geler l’hiver par grand froid, ne pas toujours avoir l’eau ou l’électricité, subir un coup dur (au sens propre parfois) d’un coreligionnaire, être ouvert sur l’inconnu dans le fleuve de l’imprévisible. Mais c’est surtout être marginal aux yeux d’une société hypocrite, qui quoique fondée sur les principes de l’égalité et de la solidarité, juge négativement, exclue, et condamne le squatteur qui se sent rejeté du fait même de la misère qui le touche. Et c’est l’un des mérites de ce livre: nous faire vivre l’exclusion de l’intérieur, ou la marginalité de l’autre coté du miroir. L’Etat citoyen apparaît alors froid, procédurier, indifférent, voire hostile. C’est de ce point de vue qu’une mise en question de notre société et de ses principes peut se construire. Pas de parti pris, cependant, pour l’auteur, qui ne manque pas de cibler, non plus, les limites et la caducité du rapport au monde de certains squatteurs.
Ce qui ressemble alors à une négation de la négation prend la forme d’une percée philosophique dans la deuxième moitié du livre. L’auteur hésite à quitter le squat pour suivre sa belle, mais aucune certitude n’accompagne la naissance de cette idée. Bien plutôt, la vie dite « bourgeoise » et la vie dite « en squat » se disputent les arguments dans sa tête, quand il n’est pas évident que la vie ordinaire et conventionnée vaille mieux qu’une vie sans confort mais sans carcan moral aucun. Ainsi on peut lire page 361 : « C’est parce que nous n’avons plus rien que nous sommes libres des possibles. ». Une vraie liberté, une vraie réflexion, c’est ce qui rend ce livre profondément intéressant, par delà les autres attraits, littéraires et humoristiques notamment, qu’il présente d’abord. Un ouvrage qui occasionne de bonnes questions, en plus du moment agréable qu’il nous offre de passer.
Yannick Bouquard – Squat
Editions du Rouergue, 2014
12 euros
36 pages